Le grand puzzle khmer. Angkor, ce fut pour l'empire khmer plus qu'une capitale, Angkor Thom (« La grande ville »), plus encore que des temples sublimes, le Bayon ou Angkor Vat (« La ville-temple »). Ce fut un symbole, celui d'une civilisation et d'un pouvoir, comparable à l'Urbs, la Rome antique. Abandonné après la conquête siamoise de l'empire en 1431, délaissé durant des siècles, pillé, menacé d'être englouti par la jungle tropicale, comme tant d'autres temples, le site a été redécouvert en 1860 par l'archéologue amateur français Henri Mouhot, et est devenu depuis un must, l'une des merveilles du patrimoine mondial. L'École française d'Extrême-Orient, qui possède un centre à Phnom Penh, y travaille toujours beaucoup, en particulier pour essayer de retrouver autre chose que des temples, des murailles percées de portes monumentales, des routes, et ces bassins gigantesques (baray) dont la fonction semble avoir été à la fois religieuse et pratique. Contrairement aux édifices d'apparat, les maisons d'habitation, même princières, étaient construites en bois, et elles ont disparu à jamais.
Alors, comment reconstituer une partie de ce gigantesque puzzle, tenter de pénétrer au cœur de la vie des souverains khmers, ces rois qui, conformément à la tradition et aux textes sacrés venus d'Inde (Veda, Purana, Mahâbhârata...) se devaient d'être parfaits, en totale conformité avec leur dharma (leur devoir, garant de l'ordre du monde), et dont l'apogée a duré du IXe au XIIIe siècle ? Des rois dont on connaît les noms, comme celui de Jayavarman VII, l'un des plus puissants, mais ni les dates de naissance et de mort, juste celles de leur règne : l'État avant tout.
Archéologue, spécialiste du Cambodge ancien qui a vécu treize ans à Angkor, Hedwige Multzer o'Naghten s'est attachée à ce travail de Romain : elle a utilisé et exploité minutieusement les inscriptions retrouvées in situ (en sanskrit pour les officielles, en khmer pour les quotidiennes), les bas-reliefs des temples qui fourmillent de personnages et de détails, ainsi que les récits de voyageurs étrangers, de diplomates, notamment chinois, à prendre avec des baguettes : le plus connu est celui de Zhou Daguan, envoyé de Temur Khan, au XIIIe siècle.
Il en résulte un récit à la fois érudit et passionnant, où l'on voit comment les Khmers ont adopté et transposé la civilisation indienne et ses religions (bouddhisme et hindouisme shivaïte ou vishnouite, comme Angkor Vat), son système de castes (observé, mais pas de façon contraignante) : les rois étaient des kshatriya, des guerriers, et leurs conseillers des brahmanes, des prêtres. À leur mort, on leur donnait un nom sacré, mais ils ne devenaient pas des dieux pour autant. On n'a pas non plus retrouvé leurs tombeaux. Les temples khmers sont magiques, mais vides.
Angkor, Le quotidien du roi
Les Belles lettres
Tirage: NC
Prix: 25 € ; 480 p.
ISBN: 9782251453897