Livres Hebdo : Comment est né le label Grand Angle il y a 20 ans au sein de Bamboo Édition ?
C’est une longue histoire. Grand Angle disons que c’est la collection « ado-adulte » de Bamboo Édition, maison qui a 25 ans maintenant. Je travaille depuis 22 ans avec son créateur Olivier Sulpice. Je faisais partie de sa toute première équipe d’auteurs. Les éditeurs sont presque tous auteurs chez Bamboo, c'est une des marques de fabrique de la maison. Et dans cette première équipe d’auteurs, j’étais le seul à avoir écrit un scénario, j’allais dire, « un peu plus sérieux ». Puisqu'à l’époque, Bamboo ne faisait que de l’humour grand public. Olivier Sulpice avait aimé mon scénario et m’a dit que si un jour la maison pouvait faire cet album, on le ferait. Et quand ce jour est arrivé, il m’a proposé de le publier et de créer aussi la collection. Parce que lancer un livre seul n’avait pas de sens. Il fallait l’accompagner d’autres ouvrages. C’est comme ça qu’est née la collection Grand Angle, que j’ai créée il y a 20 ans. C’est long 20 ans !
Cette collection est un label à part entière qui édite des « BD réalistes ». Qu’entendez-vous par là ?
Grand Angle se distingue de la ligne historique de Bamboo qui est de la BD humoristique, grand public, en gag. D'ailleurs, ce n’est pas une opposition, ça complète. La BD réaliste pour moi c'est de la BD de récit, plus long, avec un dessin qui peut être réaliste, semi-réaliste, voire caricatural, avec des récits tournés vers l'ado-adulte, « adulte » dans le sens non pornographique du terme, qu'on s'entende. Ça peut être des récits de vie, historiques, de la grande aventure...
Qu'avez-vous prévu pour les 20 ans de la collection ?
Il y aura des événements tout au long de l'année avec des actions auprès des réseaux sociaux, de la presse, mais aussi des actions commerciales, de mise en avant de la collection. À partir d'avril par exemple, il y aura 1 album offert pour l'achat de 2 parmi une sélection et en juillet nous lançons aussi un « pack découverte » (avec 1 album offert). Il y aura aussi une fête mais principalement destinée aux auteurs de chez Grand Angle et à quelques journalistes évidemment.
Travaillé comme une maison à part entière, Grand Angle se distingue du reste du catalogue de Bamboo dans ses réseaux de distribution des albums. Quels sont les points de ventes privilégiés?
Nous sommes un tout petit plus tournés vers les librairies spécialisées notamment des enseignes du réseau Canal BD qui représente environ 16 % de nos ventes. Ensuite, Cultura arrive très fort derrière, quasiment à égalité. Ensuite, les librairies généralistes, les grandes surfaces spécialisées comme la Fnac et les espaces culturels E.Leclerc sont à peu près dans les mêmes girons de chiffres. Puis vient Amazon. Nos canaux de vente sont plus ceux de la librairie généraliste ou spécialisée que Bamboo, mieux installé dans les grandes surfaces culturelles ou sur Amazon.
Vous souvenez-vous du premier album paru chez Grand Angle ?
Oui et je n'ai aucun mérite à m'en souvenir car c'était un des miens. Comme je vous disais, je faisais partie de l'équipe originelle des auteurs. C'était Sam Lawry en juin 2002, tome 1. C'est une mini-série qui a compté 6 tomes et qui a été dessinée par Mig. Ça s'est arrêté ensuite car nous avons lancé une autre série, Le messager, et qui nous a plus occupés que Sam Lawry.
À titre individuel, vous mêlez votre métier de directeur de collection et de scénariste, avez-vous du temps pour laisser place à la créativité ?
Je ne vais pas vous mentir, depuis un an c'est très compliqué. C'est même devenu quasiment impossible parce qu'effectivement avec les effets du confinement sur le marché du livre, nos chiffres ont explosé. Les sollicitations vont de pair...
Qu'entendez-vous par "explosé" ?
Nos ventes ont progressé de plus de 70 % sur une année, en 2021.
Sur quoi repose cette progression ?
Il y a eu déjà une petite « mise au frigo » chez tous les éditeurs liée aux effets du premier confinement. Donc il y a eu un petit peu moins de titres que d'habitude même si nous avions, avec Olivier Sulpice, quelques principes auxquels nous n'avons pas dérogé. Le premier c'était que nous devions toujours aller au bout de nos engagements. C'est-à-dire que si un auteur nous amenait un récit qui faisait 2, 3 ou 10 tomes, on s'engageait à publier le nombre de tomes. Le deuxième engagement, c'était de produire peu pour produire au mieux de nos capacités financières et humaines. Il y a eu un peu plus de 500 albums publiés en 20 ans, donc ça fait 35 albums annuels. C'est déjà un petit volume, en sachant que le marché annuel est de 5 000 nouveautés. Et enfin, notre dernier principe c'était d'être une maison d'auteurs et pas seulement d'édition. Cela tient au fait qu'Olivier Sulpice, Arnaud Plumeri qui est au manga, et moi, soyons également auteurs. Nous avons souhaité que tous les auteurs aient un revenu correct et égalitaire. Et avec pour règle que la différence se fasse par les droits d'auteur. Nous avons pour cela accordé de meilleurs pourcentages sur les ventes. Les royalties ont, en effet, été augmentés de 20 % en date du 1er janvier 2019.
À l'heure des grandes concentrations, comment reste-t-on indépendant ?
Alors là il faut plutôt poser la question à Olivier Sulpice. Mais c'est avant tout une aventure humaine et une belle réussite que celle de Bamboo. C'est la sienne, accompagné de vieux compagnons de route comme moi. Mais il y en a d'autres dans la boîte. C'est beaucoup de travail et beaucoup de passion et j'insiste sur ce terme-là. Parce que c'est vraiment ce qui nous anime. Olivier Sulpice commençons à avoir la cinquantaine. Nous travaillons ensemble depuis 22 ans, nous avons toujours adoré la bande dessinée et continuons à l'adorer et à la pratiquer.
Partis pour travailler ensemble 20 ans de plus ?
Oui, d'autant plus que je ne compte pas arrêter. Nous avons de plus en plus de nouveaux défis, de nouvelles choses. Nous faisons depuis peu de temps de la co-édition et des adaptations avec certains éditeurs du groupe Hachette. Notamment JC Lattès avec qui on a coédité La commode aux tiroirs de couleurs d'Olivia Ruiz et Calmann-Lévy sur l'adaptation de La chambre des merveilles de Julien Sandrel. C'est une nouvelle aventure passionnante pour nous. Nous rencontrons des confrères qui n'ont pas du tout les mêmes façons de travailler. Nous apprenons d'eux comme peut-être ils apprennent de nous. Nous avons de plus en plus de contacts avec le monde audiovisuel pour des adaptations de nos séries au cinéma. Ce qui veut dire que nous avons de plus en plus de "traitements" de films, à savoir des scénarios résumés, sans détails, dans leur version non dialoguée du film à venir. Il y a aussi des scénarios que nous accompagnons, que nous lisons, pour lesquels nous donnons des indications. D'autant plus que certains vont être coproduits par Bamboo Films qui est la société qui permet de développer de l'audiovisuel chez nous.