Selon l’histoire officielle, même passée au tamis patriotique de la IIIe République, depuis un certain jour de 52 avant Jésus-Christ, toute la Gaule est devenue province romaine. Toute ? Non. Un homme, un seul, résiste encore et toujours à l’envahisseur, à sa culture et à sa langue dominantes.

Il s’appelle Jean-Paul Savignac. «Et pourtant, s’amuse-t-il, je n’ai pas d’origines celtes. Mon nom est plutôt typiquement gallo-romain ! » Il n’empêche, à l’instar des héros d’Astérix, BD qui l’agace un peu «parce qu’on y bâillonne les bardes, alors qu’ils étaient sacrés», mais dont il reconnaît qu’« elle a fait progresser la cause gauloise », il ne veut pas savoir où se situe Alésia : à Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne, site communément admis, à Alaise, dans le Doubs, où Courbet a planté son Chêne de Vercingétorix, ou bien encore à Chaux-des-Crotenay, dans le Jura ? Ce qui le choque, c’est qu’à Alise «on ait consacré un musée à la gloire des Romains, plutôt que de célébrer les Gaulois. A Gergovie, par exemple ». Ça, on sait où c’est…

On l’aura compris, Savignac est un passionné qui s’est fait le barde de la cause gauloise, le passeur érudit d’une civilisation et d’une langue dont les traces ont bien failli disparaître. A cause de la domination romaine, bien sûr, et du latin imposé comme langue officielle, mais aussi d’un certain nombre de fragilités nationales qu’il est bien obligé de reconnaître : par exemple, l’absence d’unité politique et de toute littérature écrite, « interdite par les druides ».

A l’origine, pourtant, Jean-Paul Savignac avait pactisé avec l’occupant. Professeur de lettres classiques, donc de latin, qu’il a enseignées dans un lycée de l’Essonne jusqu’à sa retraite, il y a déjà plusieurs lunes, il a commencé par traduire des tragédies de Sophocle, et Pindare, sans doute le plus coton des poètes grecs anciens. « C’est L’Enéide, traduite par Pierre Klossowski, qui m’a libéré, raconte-t-il. Je me suis lancé. » Cinq ans plus tard, en 1996, paraît sa traduction de tout Pindare, à La Différence, rééditée ensuite dans la collection de poche maison, « Minos ». La Différence, où Savignac est devenu l’un des auteurs phares, et même, aujourd’hui, directeur de collection.

 

 

«Rat de bibliothèque».

Ces Gaulois, qui allaient changer sa vie et son œuvre, il les a découverts, en fait, dans Ogam, une revue savante publiée à Rennes, par le biais d’une inscription énigmatique : « Neddamon delgou linda » égale « Des voisins je contiens la boisson », une formule gravée sur une coupe, l’équivalent de « Passe à ton voisin ». « L’idée, en plein XXe siècle, de retrouver une langue inconnue, de déterrer un trésor enfoui sous nos pieds, m’a séduit. »

 

Sa mission commence par un retentissant « Merde à César » : les Gaulois, leurs écrits retrouvés (en 2000) puis il enchaîne avec son Dictionnaire français-gaulois (publié en 2004, qui reparaît en février dans une édition augmentée). Il y recense 2 300 mots « d’une langue indo-européenne, ce qu’on ignore en général : les premiers Gaulois n’étaient pas nés en Gaule, mais c’étaient des envahisseurs venus de l’est vers 2000 avant Jésus-Christ, comme les autres peuples celtes.» Et puis il y a aussi ces 30 000 noms propres « motivés », c’est-à-dire attestés grâce à des objets, dont certains illustres. Comme Parisii, les premiers Parisiens, nom qui signifie « Les habitants du Chaudron » (pario), ou encore Lugdunum, le nom latin de Lyon, qui signifie « La colline de Lougous », l’un des dieux majeurs du panthéon gaulois.

Justement, c’est avec un Lougous Longue-main que Jean-Paul Savignac inaugure sa collection « Les hommes-dieux », des volumes de 192 pages illustrés par Jean Mineraud, qui se proposent de «faire découvrir aux adolescents de 10 à 100 ans la source qui manquait à leurs rêves, la mythologie gauloise». Cinq volumes sont déjà prévus, au rythme de deux par an : Argantorota Grande-Reine en avril 2014, Cernounnos Torque-d’or en octobre, Nodons Mains-d’argent en avril 2015… Savignac, qui se définit plutôt comme « un rat de bibliothèque » que comme « un homme de terrain », s’est fait ici « conteur de la mythologie gauloise », Assurancetourix plutôt qu’Indiana Jones.

Jean-Claude Perrier

Lougous Longue-main, Jean-Paul Savignac, illustrations de Jean Mineraud, La Différence, 192 p., 18 euros, ISBN : 978-2-7291-2009-2, mise en vente le 5 décembre.

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