23 MAI - RÉCIT France

Jonathan Littell- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Expérience littéraire et morale simple : prenez l'auteur des Bienveillantes, à la fois ancien volontaire d'Action contre la faim en Bosnie, puis en Tchétchénie, et auteur d'une somme sur la question de la barbarie d'Etat telle que pratiquée par le IIIe Reich. Faites-le ensuite entrer clandestinement sur le territoire syrien, à Homs, ville frontalière du Liban et insurgée depuis le tout début de la contestation contre le régime baasiste. Munissez-le préalablement de carnets dans lesquels il consignera tout ce qu'il verra sur place, en vue d'un reportage pour Le Monde publié en cinq parties en février 2012. L'auteur prévient : à cause d'une "certaine fébrilité qui tend à vouloir transformer dans l'instant le vécu en texte, ils ont pris de l'ampleur. [...] Ils rendent comptent [des] derniers jours du soulèvement [...], juste avant qu'il ne soit écrasé dans un bain de sang qui, au moment où j'écris ces lignes, dure encore". Ces carnets, à peine retouchés, sont publiés trois mois plus tard.

Quel est donc le résultat de l'expérience ? Contre toute attente, il ne tient ni de la littérature ni de la morale. Le lecteur suit Littell dans ses pérégrinations à travers la ville mi-détruite, mi-insurgée, et assiste avec lui aux manifestations du vendredi, "un niveau d'énergie joyeuse et désespérée comme je n'en ai jamais vu", à des altercations avec les dirigeants du tout neuf "Bureau de l'information" des insurgés, ou encore à la création d'un hôpital clandestin où viennent très vite mourir des enfants de 12 ans tués à coups de sniper. A chaque coin de rue, les hommes veulent témoigner, exhibent les marques des tortures subies à l'hôpital ; racontent leur désertion ; montrent des vidéos sur YouTube et sur les téléphones où l'on voit des corps dénudés baignant dans le sang. Et il pleut, il pleut quasiment sans discontinuer sur la Syrie qui appelle à l'aide l'Otan - c'est quelques jours avant le veto sino-russe à une intervention internationale -, les rues sont boueuses, Jonathan Littell est malade, et personne ne donne jamais la même version des faits. Pas de littérature : juste un journaliste amateur coincé à Homs plus longtemps que prévu, qui rêve de son fils pleurant son papa. Pas de morale, non plus : pas le temps pour la morale. Il faut courir d'un centre insurgé à un autre, couvrir les manifestations, monter dans des camionnettes qui accélèrent aux check-points. On ne peut que constater l'immense désordre d'une guerre civile, où les insurgés, s'organisant, se divisent, où les milices pro-Assad jouent la provocation religieuse, où les officiers déserteurs rêvent d'un coup d'Etat. C'est effroyable, c'est compliqué. C'est déjà passé : Homs a été bombardée pendant un mois et Al-Assad s'y est rendu en faux triomphe fin mars, puis a recommencé. Un "document", affirme Littell. Celui d'un moment bref d'une insurrection douloureuse.

Les dernières
actualités