En 1878, Mallarmé a 36 ans, Rimbaud 24, Claudel 10... Victor Segalen vient de naître à Brest, il mourra en 1919 au Huelgoat, autre commune du Finistère. Centenaire de la mort, donc, de celui qui fut bien moins célèbre de son vivant que les trois poètes susmentionnés, contemporains de l'écrivain voyageur et auteur de cycles sous forme d'écrits poétiques, en prose ou en vers, de fictions, de Mémoires, des observations ethnographiques ou de livrets d'opéra. Ainsi que le rappellent Marie Dollé et Christian Doumé dans leur avant-propos de ce Cahier de l'Herne dédié à Segalen et édité par leurs soins : « Personnalité haute plutôt que hautaine, il n'a en son temps obtenu aucune reconnaissance ou presque. »

L'homme est médecin de la Marine en Chine et ne fréquente pas les cercles littéraires parisiens, il a toujours été pèlerin plutôt que salonnard, plus intérieur que mondain. Il embarque pour l'Amérique, où il assiste à un congrès d'archéologie à New York, découvre le Chinatown de San Francisco ; il part aux antipodes, à l'instar d'un Gauguin peintre de Pontaven rené aux couleurs polynésiennes (auquel il consacre un essai), et surtout voyage dans l'empire du Milieu dont il sera l'un des rares poètes français à connaître la langue et la culture. Stèles, recueil de poèmes aux motifs sinisants, Equipée : de Pékin aux marches thibétaines ou encore René Leys (qui a inspiré le pseudonyme du sinologue belge Pierre Ryckmans, alias Simon Leys)... Point étonnant que, en miroir inversé, le poète académicien français d'origine chinoise François Cheng lui consacre dans ce Cahier un essai : « Je renonce à être fait dieu ». Dans la tradition de ces grandes monographies des éditions de l'Herne, le présent volume contient à la fois des textes (inédits) de Segalen, des « lectures » par des critiques et des témoignages et correspondances d'intimes ou d'écrivains de l'époque : Claudel, Bachelard, Remy de Gourmont.

Segalen est certes un écrivain qui a voyagé, mais l'écriture ici ne se contente pas de fixer les souvenirs du périple. Son mouvement est une progression à double hélice, un dialogue constant entre le paysage intime et la vision externe-la tentative pour le grand neurasthénique qu'il fut de convoquer des images étonnantes et de se réconcilier par le rêve avec le réel : « C'est loin de toi-même où je sais te posséder. »