Désir d'espace. Avec la mission Artemis, 2024 aurait dû être l'année du retour de l'homme vers la Lune. Quatre astronautes devaient effectuer un vol sans alunissage. Pour comprendre cet enjeu, deux ouvrages se complètent parfaitement. Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin ont entrepris une vaste enquête sur la face cachée de la conquête spatiale piégée par « le refoulé de la guerre froide ». Mais ce qu'on sait moins, c'est que ce désir d'espace a été façonné pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis. Le centre de Peenemünde sur la Baltique a servi de modèle aux États-Unis, à l'URSS et à la France. Tous ces pays ont recruté des anciens ingénieurs du Reich − Wernher von Braun, concepteur des fusées V2, fut l'artisan du programme Apollo 11 pour la NASA - afin de mettre sur pied leur industrie spatiale. Les deux chercheurs mettent ainsi en lumière les dérives de cet imaginaire de l'espace jusqu'à ce qu'ils nomment « l'astrocapitalisme », à travers le contrôle militaire et le tourisme spatial.
À l'origine de cette fascination, il y a deux hommes, Iouri Gagarine et Neil Armstrong, deux héros parfaitement fabriqués pour représenter ces nouveaux chevaliers du ciel. Les portraits croisés qu'en fait Frédéric Martinez sont captivants et drôles. L'écriture y est pour beaucoup, car l'historien sait mettre en scène ses personnages. Tous deux sont choisis selon des critères autres que scientifiques. Le premier est d'origine paysanne modeste, le second bon père de famille. Les Soviétiques comme les États-Uniens doivent s'identifier à eux. Sauf que Frédéric Martinez nous montre un Gagarine peu fidèle et poivrot et un Armstrong solitaire et sinistre. Toute cette histoire de premier homme − dans l'espace le 12 avril 1961 et sur la Lune le 21 juillet 1969 − se résume dans un combat entre Wernher von Braun et Sergueï Pavlovitch Korolev, figure de proue du programme spatial soviétique. Frédéric Martinez raconte comme une épopée - et c'en est une - le vol de Gagarine et le premier pas d'Armstrong. Le cosmonaute volage et l'astronaute austère ont fait rêver des générations et on comprend pourquoi quand on suit l'aventure de ces champions. On a beau « déconstruire les discours d'enchantement » comme le font Régnauld et Saint-Martin, « le vol spatial est comme spirituellement habité ».
À l'heure de l'écologie, les spationautes sont vus comme les ouvriers d'un bidule shadokien en orbite qu'il faut entretenir à coups de milliards pour alimenter le rêve, des « influenceurs » qui coûtent 315 000 dollars de l'heure pour peu de retombées concrètes. Pour 200 millions de dollars, Tom Cruise devrait se rendre dans l'espace pour un prochain film. Le réalisateur russe Klim Chipenko l'a devancé en 2023 en tournant un film intitulé Le défi. La course aux étoiles continue... Voilà pourquoi il faut lire ces deux essais, pour savoir d'où vient l'aventure spatiale avec ses héros, tout en gardant un œil critique sur ses dérives avec ces fusées qui ne mènent bien souvent nulle part. Regarder le monde d'en haut ne suffit pas à prendre conscience des urgences d'en bas.
Une histoire de la conquête spatiale : des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space
la Fabrique
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 € ; 316 p.
ISBN: 9782358722735
Neil Armstrong et Iouri Gagarine. Deux vies, un rêve
Passés/Composés
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22 € ; 240 p.
ISBN: 9782379338717