Sous les pavés, la fiction ! On peut vouloir des cartes pour s'orienter, se rendre à un endroit précis. Aujourd'hui, le géopositionnement par satellite nous indique le plus court chemin d'un point à un autre, alors à quoi bon une cartographie de papier ? Mais on peut aussi aimer scruter une mappemonde ou un atlas rien que pour s'imaginer en voyage ou rêver d'un ailleurs réel ou merveilleux. La ville est un roman : des myriades de vies y fourmillent, qui sont le miroitement de la société. Inversement, la fiction se nourrit de la matière urbaine qui, plus qu'un simple décor, constitue la sève de ses protagonistes. D'Hugo à Houellebecq ou Despentes, Paris a été, est et ne cessera d'être le cœur battant d'une littérature vivante. Dans l'emblématique collection d'atlas chez Autrement, Ismaël Jude sort une topographie littéraire « sur les pas des personnages des romans ». Du Paris de la Belle Époque au Paris mystérieux, au Paris surréaliste ou futuriste, du Paris de la débauche ou souterrain au Paris cosmopolite, dans les rues, sur les boulevards, dans les troquets, les hôtels... on suit « les enfants terribles » de Jean Cocteau, « le fantôme de l'opéra » de Gaston Leroux, Adèle Blanc-Sec et Nadja, les héroïnes de Tardi et d'André Breton, Bardamu le narrateur célinien de Mort à crédit, Momo celui de La vie devant soi de Romain Gary (alias Émile Ajar), la Zazie de Queneau... Ainsi passe-t-on de Montmartre à Belleville en faisant un crochet par Saint-Germain-des-Prés... Paris de l'Occupation, de la Libération, Paris jazzy de l'après-guerre, c'est en compagnie de Simone de Beauvoir, de Jean-Paul Sartre, de Boris Vian et par le truchement de leur vision de la capitale que tour à tour on converse, on ratiocine, on fulmine, on swingue ! Dans un mode d'emploi liminaire, Ismaël Jude expose le principe du livre avec cartes détachables (on devient littéralement un scout littéraire). Les lieux incontournables sont répertoriés et les itinéraires parcourus par les personnages fictifs tracés. À travers les époques et les quartiers, nos guides s'appellent Maigret avec ses enquêtes sous la plume de Simenon, Nestor Burma dans Les nouveaux mystères de Paris de Léo Malet, ou Sylvie et Jérôme dans Les choses de Perec. Encore que « guide » soit un terme impropre, ces cartes avec listes d'adresses sont faites pour déambuler dans nos souvenirs de lecture ou les méandres de la mémoire collective alimentée par l'imaginaire des écrivains. Imaginaire si puissant qu'on dira avec le préfacier François Sureau : « Il y a tout lieu de douter de l'existence du gouverneur de France, pas de celle de Javert ou de Lucien Leuwen. »