La violence des femmes. « C'est vraiment pas de pot de se viander avant d'avoir senti l'air marin. » Dès le prologue, Kace, s'adressant au lecteur comme le chœur dans une tragédie grecque, nous dit que l'histoire finit mal. Kace, qui entend des voix, annonce, mais aussi accompagne et conclut le funeste destin de Dios et Florida, ses deux anciennes codétenues du centre pénitentiaire d'Arizona. Si bien qu'on imagine une fuite fatale vers l'océan à la façon de Thelma et Louise, le film de -Ridley Scott. Sauf que ce road trip ressemble davantage à celui que mènent Mickey et Mallory dans Tueur nés -d'Oliver Stone. Ce qui ne change rien à l'issue, mais tout quant à sa nature.
Florida, de son vrai nom Florence, jolie gosse de riche, est incarcérée après avoir, littéralement, allumé la mèche. Un soir dans le désert, sous ecstasy avec son petit ami Carter, elle a gratté l'allumette qui a embrasé le cocktail Molotov jeté par Carter dans la caravane d'une bande rivale. Complicité de meurtres. Sa libération anticipée, en raison de la pandémie, l'oblige à effectuer une quarantaine dans un motel de la ville. Délivrée, libérée mais affamée puisque l'État oublie de livrer ses repas, Florida pousse jusqu'au drugstore, malgré l'interdiction de sortir. Sur le parking, un bus attend, moteur en marche, à destination de Los Angeles. Pour 25 dollars elle peut rentrer chez elle. La tentation sur pneus. Mais une autre ex--prisonnière, Dios, se précipite dans le bus au moment où les portes se ferment. Dios est persuadée que Florida est, comme elle, habitée par la violence et qu'elle doit l'aider à révéler sa véritable nature. Une cavale meurtrière débute. L'enquêtrice qui les talonne, Lobos, jeune agent du LAPD, comprend peu à peu la mécanique de cette folie à deux : Florida fuit Dios, et Dios la pourchasse. Dans cet étrange attelage de femmes qui se poursuivent, Lobos apparaît comme celle qui, par son expérience personnelle et son intuition, laisse émerger le sens de cette fuite en avant. « Cet acte [le meurtre] est une déclaration, une affirmation, une démonstration de pouvoir de la part de quelqu'un qui a envie d'être vu », pense-t-elle.
Les femmes peuvent-elles être, comme les hommes, dévorées par des pulsions meurtrières ? C'est la thèse que défend ce roman noir de l'Américaine Ivy Pochoda. Réaliste et percutant, il s'inscrit dans le sillage du précédent - encensé par la critique, Ces femmes-là (Globe, 2023 ; Bourgois, 2025 pour l'édition en poche) investissait la psyché de femmes victimes d'un tueur en série. Ce point de vue féminin, à contre-courant des idées reçues, confère à Dios et Florida, sous la plume fine et singulière de son autrice, une dimension qui dépasse largement celle d'un simple thriller. Ivy Pochoda, quadragénaire diplômée d'Harvard, ancienne membre à tête dure de l'équipe nationale de squash, démonte, voire désosse, le cœur des femmes pour pointer la violence dont elles sont porteuses, et qui fait des hommes, finalement, leurs égaux.
Dios et Florida
Globe
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Adélaïde Pralon
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 23 € ; 226 p.
ISBN: 9782383613374