Par où commencer ? Par le début, c'est toujours mieux quand on aborde la Préhistoire. Cela signifie d'abord observer. Dans une grotte, on ne voit bien souvent que ce que l'on apporte : des envies, des craintes. Et puis des dessins apparaissent. Ils viennent de la nuit des temps et des temps de la nuit. Jean-Jacques Salgon l'a compris. Il est devant les fresques comme stupéfait. Et cet état de sidération met en marche sa mécanique intellectuelle. Puisqu'il s'agit indubitablement d'art, qu'a-t-il à nous dire sur celui d'aujourd'hui ? Existe-t-il des permanences dans notre musée imaginaire ? La rêverie devient alors méditative, poétique et magique. Car on voit bien le procédé de dissimulation. L'art ne nous dit pas tout, bien qu'il montre tout. Derrière ces chevaux, il y a quelque chose d'autre. Un désir pour ces Aurignaciens d'il y a 35 000 ans de marquer leur place sans dire aux autres quelle est la leur. Il vaut toujours mieux montrer que démontrer. Dans le second cas, on a perdu une partie du charme. Il s'est évanoui dans le raisonnement. Alors ce petit livre délicat nous parle de tout cela, des artistes d'hier et de ceux d'aujourd'hui, des regardeurs qui veulent bien encore contempler sans être seulement contemplatifs face à cette « monumentale et silencieuse déflagration ».
Lorsqu'il entre dans la grotte Chauvet, Jean-Jacques Salgon est tel Jonas dans la baleine, avalé par cette cathédrale chtonienne. Mais bien vite le théâtre d'ombres se métamorphose en jeu de lumières à la faveur des lampes frontales. Les animaux sont chargés de la présence des hommes qui les ont peints. Le souffle des bisons décoiffe les esprits les plus rationnels. D'ailleurs, de rationalité il n'est plus question. L'écrivain, qui avait déjà en partie raconté cette expérience sensuelle et cérébrale dans Parade sauvage (Verdier, 2016) et qu'il complète ici par ses visites à Lascaux et à la grotte de Baume Latrone, dans le Gard, avec son grand plafond de mammouths stylisés, se prend à rêver, à comparer avec d'autres œuvres. En remplaçant mentalement les animaux par les gens, il voit dans ces parois peintes griffées par les ours Un enterrement à Ornans, une cérémonie des adieux à la République, pour Courbet, l'arrachement à « une condition humaine immémoriale » pour le ou les artistes de la grotte Chauvet. On peut discuter, mais le sentiment est là, comme ce regard posé sur ce petit cheval de Prjevalski qui explose « au cœur des ténèbres comme une épiphanie ». Pour Jean-Jacques Salgon, les Homo sapiens prennent conscience qu'ils ne sont plus des animaux en les représentant et Courbet qu'ils sont un peu moins des hommes en devenant des bourgeois coupés de la nature. Dans ses multiples visites, il remarque que les Aurignaciens ne représentent pas la nature, seulement les animaux. Ils veulent figer ce qui bouge pour montrer la fragilité du monde. Au-delà du sentiment écologique, voilà un récit délicieux qui émerveille par sa manière de dire la clarté qui surgit d'une roche obscure tout comme l'absurdité féroce d'un « bébé mammouth en pantoufles » que n'aurait pas renié un Jérôme Bosch.
Des graffs dans la nuit
Arléa
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 16 € ; 96 p.
ISBN: 9782363082589