L'envol de l'aigle. La fascination de Jean-Marie Rouart pour les grands hommes, leur psychologie, leur pouvoir de séduction, et leur destin, parfois funeste, est bien connue. Autant de héros de romans possibles. Parmi ceux-ci, au premier chef, Napoléon Bonaparte, à qui l'académicien français a déjà consacré une biographie de sa façon, Napoléon ou la destinée, en 2012 (Gallimard). Il revient sur le motif douze ans après, sous un angle assez particulier, s'attachant exclusivement à la petite année (du 4 mai 1814 au 26 février 1815) que celui que, par coquetterie ou goût du suspense, il ne nomme quasiment jamais et appelle « le grand proscrit », a passée en exil sur l'île d'Elbe, française depuis 1802.
L'île d'Elbe est un « Empire en modèle réduit » au milieu de la Méditerranée, d'où Napoléon peut apercevoir les lumières de sa Corse natale et gagner la côte toscane d'un coup de voile. Il y mène une vie confortable, mollement surveillé par le colonel Neil Campbell, un jeune Écossais qu'il aime bien, lequel préfère passer ses nuits dans les bras de la très belle et volage comtesse Miniaci, à Florence, plutôt que jouer les geôliers d'un homme qu'il admire. On dit que c'est au tsar de Russie Alexandre que le vaincu de la campagne de France doit ce traitement plein de mansuétude. Lors du premier congrès de Vienne, d'autres, comme les Anglais et les Autrichiens mais aussi l'immonde Talleyrand (que Rouart ne nomme presque pas non plus) poursuivant son bienfaiteur d'une basse vindicte, voulaient déjà l'expédier à Sainte-Hélène.
Un autre que Napoléon aurait pu s'accommoder de cette retraite pépère. Pas lui. Dès le début, il met en place des réseaux de fidèles à travers toute l'Europe, qui l'informent de la situation et de l'état de l'opinion en France où le gros Louis XVIII, rétabli sur le trône par les occupants, n'allait pas tarder à faire l'unanimité contre lui. Il incarnait l'ancien monde face au « monde en marche », même chaotique. Et puis, à un moment, la décision de Napoléon est prise : au bord de la faillite pour cause de rente promise par le roi non payée, et sur le point d'être transféré à Sainte-Hélène, il quitte son île pour tenter l'aventure à nouveau. Il s'en remet à sa bonne étoile et débarque à Golfe-Juan le 1er mars 1815, afin de reconquérir la France et l'Europe. Cette ultime illusion durera cent jours.
Dans La maîtresse italienne, le contexte historique est toujours présent, même si Rouart préfère le sfumato au réalisme. Ce qui l'attire avant tout, c'est la psychologie des personnages et la façon dont des individus, selon qu'ils prennent telle ou telle décision, souvent dictée par leurs sentiments, leurs sens, peuvent influer sur le cours de l'Histoire. La petite, alors, rejoint la grande. Campbell ne se trouve pas à l'île d'Elbe le jour où son prisonnier s'échappe parce qu'il est allé essuyer un fiasco à Florence... C'est un peu l'histoire du nez de Cléopâtre, revisitée. Avec brio, un style enlevé et ce goût pour une époque qui nous permet, durant cent soixante-seize pages, d'oublier la nôtre.
La maîtresse italienne
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 19 € ; 176 p.
ISBN: 9782073041081