Julia Hastings: En 1999, après ma formation à l'université des arts et du design de Karlsruhe, j'ai rencontré à Londres Alan Fletcher, alors directeur artistique de Phaidon. Il aimait mon travail et m'a présentée à l'éditeur de l'époque, Richard Schlagman, qui m'a laissé choisir un titre dans sa liste à venir. J'ai choisi le livre du 50e anniversaire de l'agence photo Magnum. D'abord réticent à l'idée de le confier à une jeune designer, Schlagman m'a fait confiance pour cette mission. Il m'a avertie que choisir ce titre impliquait de travailler avec 50 photographes de Magnum avec 50 points de vue différents. J'ai relevé le défi et j'ai réussi à les convaincre avec mon concept de design pour Magnum [dregres].
Simultanément, j'ai commencé à travailler sur Cream : Contemporary Art in Cuture, une biennale artistique en forme de livre. C'était la première fois que je présentais un livre en tant qu'objet global chez Phaidon. L'ouvrage, à couverture souple grand format, était emballé dans un sac sous vide ressemblant à un produit fraîchement scellé, et il était aussi dur que le bois. Dès sa sortie de l'emballage, il est devenait souple. Les matériaux, l'effet de surprise étaient quelque chose que je voulais explorer à l'époque. Puis, en 2000, j'ai été promue directrice de la conception du bureau Phaidon à New York, où j'ai travaillé et vécu pendant les huit années suivantes, avant de déménager à Zurich.
Je suis heureuse de constater que Phaidon a pleinement exploité le potentiel de cette nouvelle direction du design. Un matériau de couverture, un dos, un bandeau font partie du langage créatif, et doivent participer au mariage entre forme et contenu. Maintenir ces objectifs ambitieux et concrétiser des concepts en respectant les budgets est un véritable défi, et je m'appuie pour cela sur tous les départements de l'entreprise. À titre d’exemples, je peux citer chacun des livres que j’ai conçus, car j’essaie toujours de trouver le bon dialogue entre l’extérieur, l’intérieur et le sujet. Les titres Cream avec leurs emballages, le Andy Warhol Catalogue Raisonné, avec sa mise en page inhabituelle et ses matériaux sérigraphiés, Sample avec sa couverture plissée, la reliure de Wa. The Essence of Japanese Design, la typographie aléatoire de Unmonumental, la couverture vivante de 10X10_3, la monographie Bruce Nauman - The True Artist, qui révèle non seulement son art, mais également son espace de travail...
Nous avons aussi appliqué avec succès cette stratégie pour les titres sur l’art, le design et la photographie aux livres de recettes, et aux monographies de chefs de Phaidon, qui ont révolutionné ce marché. Que ce soit des bibles de la cuisine nationale ou des titres spécialisés tels que The Family Meal de Ferran Adria, tous les titres de cuisine de Phaidon tiennent des mêmes concepts de production que les livres d’art.
J'aborde le livre en tant qu'objet, pas seulement comme de l'encre sur des pages. J'essaie d'expérimenter autant que possible des matériaux inhabituels, et de trouver des solutions pour que les articles fabriqués en série ressemblent à des éditions limitées.
Pensez-vous, comme beaucoup de directeurs artistiques français, qu'il y a plus de créativité pour les couvertures de livres au Royaume-Uni et aux États-Unis qu'en France ?
Je n’ai pas travaillé directement avec des maisons d’édition françaises, mais avec d’excellents designers français. J'ai travaillé physiquement à Londres, à New York et à Zurich, et je constate qu'il existe des différences culturelles majeures d'un endroit à l'autre, qui influencent forcément la production. De toute évidence, la globalisation va à l'encontre de ces spécificités nationales, mais on les perçoit encore, et c'est une bonne chose.