Chemins de campagne. « Péquenauds », c'est un nom qui désigne péjorativement les habitants de la campagne, les paysans. Ce mot exprime un certain mépris, un jugement sur la supposée grossièreté des campagnards, des ploucs, des beaufs, et qui révèle par opposition des urbains prétendument affables et civilisés. À la fois autrice, éditrice, traductrice et militante, Juliette Rousseau choisit ce terme pour titre de son nouveau livre, un récit autobiographique sur son retour dans la campagne où elle a passé son enfance, qui se situe dans la continuité du précédent La vie têtue (Cambourakis, 2022).
D'emblée, elle oppose les activités manuelles et mécaniques à celle qu'elle développe depuis qu'elle a quitté sa province natale : « Écrire, ici, signifie adopter un mouvement contraire. Voire risquer de contrarier. Mais, devant ce que les machines endiguent et tout ce que cette ruralité cherche à réprimer, je n'ai pas trouvé mieux que les mots pour ouvrir une brèche. » Elle poursuit : « Je ne sais toujours pas lequel de ces gestes est le plus futile. »
C'est par l'écriture, par la réminiscence des sons et des images de cette enfance paysanne, que ce retour à la campagne se réalise complètement. L'autrice le décrit comme elle retisse les liens entre ce qu'elle est devenue et ce qu'elle a été, entremêlant des souvenirs, des considérations politiques, des rappels de faits historiques qui se sont déroulés dans ce coin de Bretagne, « cette foutue terre qui tient [ses habitants] enchaînés et les a faits agriculteurs plutôt que poètes ». C'est justement par la poésie, par la forme libre de la prose poétique que Juliette Rousseau trouve les mots pour parler d'où elle vient.
Dans cette « fosse à lisier », telle qu'elle perçoit sa campagne d'enfance depuis la ville où elle a atterri adulte, « la haine de soi est peut-être ce que l'on nous apprend en premier », lâche l'autrice. « La maladresse me rattrape, moi qui pensais avoir mis suffisamment d'asphalte et de livres entre elle et moi. » Juliette Rousseau parle de ruralité « sensible » et traduit l'ambivalence du sentiment d'appartenir à ces terres et de les avoir quittées, de ne plus « en être ». Ce sont précisément les différentes perceptions possibles d'un territoire qui conduisent à la protection ou à l'exploitation de la nature. Ce que la campagne devient : des arbres arrachés, des forêts clôturées, privatisées, la moindre parcelle labourée, cultivée, des bourgs progressivement ensevelis sous des couches de bitumes, des territoires entre villes et campagnes où s'agglutinent des magasins entrepôts entourés de parkings. Juliette Rousseau constate que, dans son village, la nature est elle aussi transformée voire réduite à une machine à produire, privée de toute autonomie. Elle souligne le lien entre l'urbanisation, la modernisation et le développement massif de l'agriculture productiviste et industrielle. Cette histoire, c'est celle de la ruralité rattrapée par la modernité, de la mécanisation qui fait disparaître les organisations collectives et accentue l'individualisme. « Il y avait de la pauvreté » parmi ces habitants, lui dit un jour son père, « mais la misère, c'est nouveau ».
Péquenaude
Cambourakis
Tirage: 3 305 ex.
Prix: 16 € ; 120 p.
ISBN: 9782366249170