Tu montreras ma tête au peuple - titre emprunté à la geste de Danton, dont ce furent les derniers mots avant qu’il ne soit guillotiné, comme tant d’autres qu’il avait envoyés trouver la Veuve - est un kaléidoscope de dix récits tous centrés sur le moment fatal, mais montré selon des perspectives différentes. Parfois, c’est l’héroïne elle-même qui s’exprime. Ainsi, dans « C’est la fin qui couronne l’œuvre », texte qui ouvre le recueil et en donne le ton, Charlotte Corday, posant pour le peintre Jean-Jacques Hauer, un élève de David (qui, lui, était en train de peindre Marat assassiné dans sa baignoire), lui raconte son histoire et confie les motifs de son geste. Descendante du grand Corneille, aristocrate, elle ne souhaitait pas tuer Marat pour éliminer un ennemi de sa caste, mais afin de sauver la patrie et la Révolution. Le plus souvent, toutefois, ce sont des témoins - geôliers ou compagnons d’infortune ayant échappé à l’exécution - qui se font les mémorialistes des derniers instants du héros, ou de l’héroïne. Ainsi, les ultimes moments de Marie-Antoinette à la Conciergerie sont consignés par un de ses gardiens dans son journal, un autre raconte le courage des députés Girondins chantant jusqu’au bout La Marseillaise, un condamné évoque le panache de Danton, ou encore l’obscur plumitif Marie-Joseph Chénier, frère du poète André, lui écrit post mortem pour tenter de justifier sa propre lâcheté, sa jalousie à l’égard d’un cadet beaucoup plus doué que lui.De François-Henri Désérable, dont c’est là, semble-t-il, le premier livre publié, on ignore à peu près tout. Si ce n’est qu’il est jeune, 25 ans, qu’il a dû faire de solides études d’histoire, et qu’il paraît fasciné par la Révolution française, quitte à l’envisager sous un angle assez inédit. Désérable (des Erables ?) se place en effet du côté des victimes, d’où qu’elles viennent, aristocrates ou révolutionnaires « modérés » condamnés par leurs anciens amis, juste avant qu’elles ne montent à l’échafaud.
Ce qui fédère tous ces ponts de vue, c’est l’empathie avec laquelle ils considèrent les victimes, spontanée ou née de l’exemplarité, de la dignité, de l’héroïsme de leur conduite face à la mort. Bien sûr, on sent de quel côté penche l’auteur lui-même, lequel prend soin de rappeler les statistiques funèbres de la Terreur : 2 918 morts du 21 janvier 1793 au 9 septembre 1795, dont 1 376 en un mois et demi, de prairial jusqu’au 9 thermidor an II (1794), date de la chute de Robespierre et de ses partisans Montagnards. Cela manque de remise en cause, mais François-Henri Désérable ne prétend pas signer un essai historique : une œuvre de fiction, originale et plutôt réussie.
Jean-Claude Perrier