Chemins arméniens. « L'homme ne vit pas que dans la nature mais aussi dans l'histoire. » Encore faut-il la connaître... Nombreuses sont les familles qui se sont construites sur des traumas, des failles ou des silences. Katerina Poladjan s'inscrit dans cette lignée. Cette dramaturge, essayiste et actrice est l'un des visages phare du cinéma de Fatih Akin, qui vient d'ailleurs d'acquérir les droits d'adaptation de son nouveau roman. Questionnant les identités fracturées, Ici, les lions porte la voix d'une génération troublée. « Je n'ai aucune idée de ce que je suis », souligne la narratrice. À l'instar de l'autrice, qui a vu le jour à Moscou, a grandi à Rome et Vienne et vit désormais à Berlin, où elle écrit dans la langue de Goethe. Son roman débute à Istanbul, ville trépidante dans laquelle Helen Mazavian a achevé ses études d'histoire de l'art et de langues orientales. C'est là qu'elle va approcher l'univers de la restauration de manuscrits, une initiation qui lui ouvre une nouvelle voie. Autant de pages renfermant les mystères de l'humanité et de l'écriture. Helen est envoyée en mission à Erevan, afin de travailler sur un livre particulier, « une bible de famille » ou plutôt un « évangéliaire de guérison » arménien. Brusquement, elle est ramenée à ses origines, qu'elle a longtemps mises de côté. « Tes grands-parents n'ont jamais raconté grand-chose », estime sa mère artiste, qui a pourtant essayé de lui faire part ce drame déchirant. Qu'en est-il des survivants ? « Dieu a dessiné l'Arménie d'une main fatiguée. En Arménie, on s'inquiète davantage du passé que de l'avenir. » Aussi Helen, rêvant de reconstituer sa généalogie arménienne disparue, va-t-elle creuser ce passé à travers ce texte oublié et son imaginaire. « Ce peuple a toujours eu peur de disparaître. On était familier de l'incertitude, on se tenait toujours prêt à fuir. Il s'agissait de se protéger et de se défendre, d'où la solidité de la reliure, le pressage le protégeait des insectes. » De quoi ce petit traité a-t-il été le témoin ? « Ce qui m'intéresse, c'est l'histoire du livre sur lequel je travaille. Et peu importe que ce soit ma grand-mère qui ait souffert ou une inconnue », avoue Helen. Un soldat musicien, combatif mais profondément mélancolique, complète l'histoire de ces descendants qui peinent à se reconstruire. « L'Arménie a besoin d'une utopie » pour pallier les souffrances ou la culpabilité de ceux qui n'ont pas péri. Un sentiment partagé par deux exilés, Anahid et Hrant, obligés de fuir pour sauver leur peau, et dont l'âme garde les stigmates de la perte. « Anahid faisait ses propres prières. Je crois en l'amour, l'amour sacré, je crois au sang, à la mer, au feu. Je crois au beau, à l'âme et au corps. » Katerina Poladjan croit en sa plume romanesque et en la force des mots pour transmettre la mémoire du génocide et le flambeau de la survie. « Être au monde a toujours été dangereux, à toutes les époques », alors restons vigilants car personne n'est à l'abri d'un basculement dans la folie. « Nous devrions rester fidèles à la vie. »