Partir des usagers ou partir des documents ? La nouvelle bibliothèque privilégie sans hésiter le premier terme. Mais comment le mettre en œuvre ? L'ouverture récente de la médiathèque Marguerite Duras a donné l'occasion de fournir une illustration exemplaire. Une partie des collections de l'ancienne bibliothèque a rejoint la nouvelle médiathèque par l'intermédiaire d'une chaîne humaine de 350 mètres. Il faut voir ainsi ces livres qui remontent la rue en passant de mains en mains... ( http://www.dailymotion.com/video/xdo9jl_la-grande-migration-des-livres_news ) Ce sont les habitants du quartier qui se sont mobilisés en grand nombre et dans leur diversité. Une occasion leur est offerte de s'approprier ce nouvel équipement qui ne leur tombe pas du ciel. Symboliquement, par leur participation au déménagement des collections, ils auront apporté leur contribution à la naissance de ce bien commun. Le personnel les y aura invités marquant en cela son accord pour ne pas se montrer propriétaire jaloux d'un stock qu'il consentirait à prêter. Le succès de cette manifestation illustre une réelle disponibilité de nos contemporains pour s'intéresser à la bibliothèque quand celle-ci les implique dans le cadre d'un événement festif (une fanfare brésilienne accompagnait la migration des livres). Ils apprécient ce moment collectif, cette occasion d'un rassemblement, de la formation d'une collectivité locale qui dépasse leur existence individuelle. Chacun choisit de prendre part à un événement qui fait exister cette collectivité. Et c'est tout à l'honneur de la bibliothèque d'être l'acteur de la construction de ce « nous » aussi éphémère soit-il. Les citoyens lui sont reconnaissants et les élus peuvent l'être également. Le livre, dans sa dimension matérielle, est devenu le support du lien. Il n'est pas une source de différenciation ou hiérarchisation sociale (ce qu'il peut toujours être objectivement) mais le moyen par lequel il relie des citoyens différents entre eux et avec les autres lecteurs passés et futurs. La bibliothèque n'est plus un stock de livres auquel les habitants ont accès. Les livres ont migré, ils ont ainsi pu se métisser au contact de ces lecteurs qui, par leur prise en main, en ont fait un objet accessible, inscrit dans le monde réel du quartier. Cette initiative pourrait préfigurer une mission spécifique des bibliothèques de l'avenir : construire la collectivité locale (et pas seulement la collection) par les documents. Il faut encore des bibliothèques car les citoyens d'aujourd'hui ont aussi envie de se sentir appartenir à une collectivité et que cet équipement est celui qui peut permettre de construire cette impression d'être « libres ensemble » (pour reprendre le titre de l'ouvrage de F. de Singly) !
15.10 2013

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