En dépit de son âge, 23 ans, Thomas Dietrich connaît bien l’Afrique noire et la « Françafrique », où il a vécu, travaillé, et dont il parle certaines langues. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait situé son premier roman, Là où la terre est rouge, au Tshipopo - un pays qui ressemble à l’Ouganda d’Idi Amin Dada, ou à la Centrafrique de Bokassa -, dirigé par un tyran, soutenu par l’ancienne puissance coloniale et en proie à une guerre civile sans merci.
Pourtant, quand Icare, le héros-narrateur, arrive à Pendéré, la capitale, il est emballé. Il a 20 ans, et pour ce petit-bourgeois surdoué, asocial, glandeur et menteur, cette aventure semble être la chance de sa vie. A Paris, fauché, en rupture de ban familial, il a rencontré le général Anténor. Une fois nommé ministre, il a embauché Icare, qui s’était prétendu diplômé de Sciences po, comme conseiller au renseignement. Le jeune homme rencontre le maréchal Hélios, le dictateur du Tshipopo, et s’intègre vite à la nomenklatura locale. Grassement rétribué, il remplit des missions délicates, vit dans le luxe, et tombe amoureux d’Alceste, la fille de l’ambassadeur de France.
Jusqu’au jour où, les élections présidentielles ayant proclamé Hélios réélu à 90 %, l’opposition entre en rébellion armée, et marche sur Pendéré. La France hésite. Icare, lui, refuse d’être évacué, prend les armes pour défendre son « patron ». Mais la bataille finale, une charge épique de blindés, tourne mal. Hélios est tué. Le chaos s’installe jusqu’à ce que la Françafrique reprenne ses droits. Phaéton son fils, est installé au pouvoir, et Icare chargé de l’épuration. Mais le nouveau maître du Tshipopo ne l’aime guère et va le lui faire comprendre. Commence alors pour Icare une montée au calvaire.
Présenté comme une confession post mortem, ce roman peut se lire comme une transposition du mythe grec d’Icare, le fils de Dédale. Mégalomane et sans scrupule, l’Icare moderne se laisse griser par la facilité, le pouvoir et l’argent, n’imaginant pas sa chute si proche. Le personnage, tel que l’a voulu le néoromancier, est ambigu : on ne le sent pas heureux, épanoui, sauf au contact de la latérite africaine. Là où la terre est rouge est un premier roman original et réussi, porté par une écriture classique et maîtrisée. Jean-Claude Perrier