En 1966, François Roustang (1923-2016), jésuite et directeur de la revue Christus, publie un article titré « Le troisième homme ». Sur sept pages, en fin de numéro, il annonce de manière mesurée mais sans ambiguïté l'émergence d'une nouvelle catégorie de chrétiens qui ne se reconnaissent plus dans l'Eglise catholique. Il explique qu'entre « ceux qui regrettent le temps passé » et « ceux qui veulent une adaptation meilleure des institutions », il existe un troisième genre qui ne se bat ni pour la préservation de la liturgie ni pour l'entrée dans la modernité sociale, mais qui vit sa foi silencieusement, pleinement, hors de la paroisse, dans son église intérieure. Mais surtout, face à ce constat, l'auteur de la chronique ne voit aucune perspective optimiste. Il est immédiatement remercié et, à 43 ans, quitte la Compagnie.

Ce livre collectif revient sur « la faute du père Roustang » qui constitue un moment important de l'histoire sociale des catholiques en France. On y retrouve l'article le plus célèbre de la revue Christus qui ébranla jusqu'au pape après les avancées de Vatican II. Pour Roustang, désormais, « le chrétien est renvoyé à sa confiance » et « la volonté de réforme commencée au concile passe désormais par lui et se continue à travers ses propres efforts de lucidité ». C'est en somme un nouveau type de relation qui s'établit entre la foi et la loi. L'histoire de l'article et sa réception sont racontées par Etienne Fouilloux, Claude Langlois explique le long compagnonnage de dix ans entre François Roustang et Michel de Certeau, qui refusa de lui succéder à la tête de la revue - ils se retrouveront tous les deux profs à Vincennes après Mai 68 -,  et Danièle Hervieu-Léger rappelle le contexte très particulier du catholicisme français de l'époque agité par des vents contraires. Mais c'est surtout les deux textes de sa fille, Eve-Alice Roustang, que l'on retient, notamment son regard admiratif pour ce père devenu psychanalyste et thérapeute d'exception, qui disait : « je ne suis pas intelligent, je suis courageux ». Ce passionnant livre d'histoire intellectuelle nous replonge finalement dans les débats de l'Eglise actuelle. Il nous parle aussi d'un homme qui veut pouvoir penser ce qu'il pense. Du courage, en effet.