Il s’appelle Pontus Beg. Il est flic. Il se sent vieux et ne va pas tarder à le devenir. De toutes les façons, à Michaïlopol, cette ville de l’est de notre continent où Beg exerce son incertain magistère, l’avenir a mauvaise mine. "La ville-frontière avait par le passé abrité un célèbre institut de recherche nucléaire et disposé d’un club de hockey sur glace. Beg se rappelait l’effervescence d’alors. La gare de Michaïlopol assurait la jonction avec le reste du monde, quinze trains par heure la desservaient. Le déclin avait été aussi brutal que son essor. On avait compté jusqu’à seize églises orthodoxes et catholiques ainsi que deux synagogues." Aujourd’hui, plus rien ne reste de cette splendeur passée ; un goût de désastre plane sur la ville et sur Pontus Beg, flic corrompu et triste qui n’a en matière d’amour que les libéralités que lui accorde sa femme de ménage une fois par mois. Et puis, quelque chose va changer, de terrible et de magnifique. Le vieux policier va lire la Torah, tandis qu’en ville apparaissent cinq migrants, venus du bout de la nuit et des confins du monde.
L’allégorie est en littérature un jeu dangereux. A flirter avec le démonstratif, elle peut perdre toute force. Il lui faut donc la puissance d’incarnation du Néerlandais Tommy Wieringa dans cet impressionnant Voici les noms, pour résonner vraiment au cœur du lecteur. Tommy Wieringa est hélas l’un des secrets les mieux gardés de la littérature européenne (il n’est prophète que chez lui, aux Pays-Bas, où chacun de ses livres rencontre le succès). Son précédent roman, La maison engloutie (Actes Sud, 2012) fascinait par sa peinture des séductions frelatées de la société du spectacle. Celui-ci impressionne par sa stature morale comme la sourde colère qui le sous-tend. C’est le livre d’un romancier vigoureux dans un monde épuisé. O. M.