3 octobre > Roman & nouvelles Colombie

Andrés Caicedo- Photo DR/BELFOND

Météore et prodige des lettres colombiennes, Andrés Caicedo (1951-1977) s’est suicidé à l’âge de 25 ans, laissant derrière lui une œuvre considérable parce qu’il avait commencé à écrire dès l’adolescence : articles, critiques de cinéma, pièces de théâtre, scénarios, nombreuses nouvelles (son genre favori, apparemment), et deux romans : Que viva la musica !, considéré comme son chef-d’œuvre, traduit en français chez Belfond en 2012 (repris chez 10/18, le 3 octobre), et l’inédit El Atravesado - quelque chose comme « l’enragé », mais en plus fort -, devenu Traversé par la rage, qui paraît aujourd’hui.

Cette « offensive Caicedo » en France est portée, outre le traducteur Bernard Cohen, par Clara et Guillermo Lemos Ruiz, qui furent les amis de l’écrivain en herbe, et lui vouent un véritable culte. Clara fut sa muse, et les deux romans d’Andrés lui sont dédiés. Guillermo, lui, a fondé à Cali, la ville où est né et a vécu l’écrivain et où se situent ses livres, l’association Los Cuentos de Caicedo, destinée à promouvoir son œuvre, ainsi qu’un Caicedo Tour, « La Ruta de Caicedo ».

A quand un Caicedoland ? On exagère à peine, tant l’on ne se situe plus ici dans l’admiration littéraire, mais dans le fétichisme. Les trois éditeurs, cosignataires de la préface du livre, écrivent comme les fans d’une rock star défunte. Peut-être parce que le bel Andrés ressemblait furieusement à Jim Morrison, et parce qu’il a connu une destinée aussi tragique. Sa rage, celle qui l’a poussé à se suicider, étant née de la spoliation de ses biens et de l’assassinat de don Simon, son père, par ses propres frères et sœurs, condamnant ainsi le garçon et sa mère à la misère.

Cette tragédie revient hanter Traversé par la rage, court roman d’initiation somme toute assez banal, où se mêlent épisodes vécus et fiction. C’est, racontée par lui-même quelques années après, et sur le mode de l’oralité, l’enfance d’un gamin de Cali. Nourri de westerns et de rock’n’roll, il est fasciné par les «galladas», les bandes de petits caïds locaux qui se prennent pour James Dean, et se la jouent remake de West side story lorsqu’elles se castagnent entre elles. L’une des plus radicales s’appelle « La Tropa Brava », elle est dirigée par Edgar Piedraita, avec sa girlfriend Rebeca (qui finira mal). Le narrateur, qui, quoique fluet, ne vit que pour la baston et se défend pas mal, intègre la bande et y trouve sa place. Jusqu’au jour où, à la suite du pillage d’un supermarché, la Garde civile intervient férocement et massacre les « braves ». Autres silhouettes qui passent, Maria del Mar, sa cruelle cousine et son premier béguin, don Benito, le prof détesté parce qu’il « pue des pieds », ou encore Akira, son copain japonais qui lui enseigne le karaté et se fera seppuku. Sinistre préfiguration de son propre destin, choisi par l’écrivain.

Comme le roman est mince, l’éditeur y a adjoint cinq nouvelles, pas fondamentalement différentes, dont une, Les dents de Petit Chaperon, à l’écriture expérimentale, comme sous l’effet de stupéfiants. L’ensemble n’est pas un livre majeur, mais une curiosité attachante. J.-C. P.

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