Wajdi Mouawad, Nedim Gürsel, Louis Gardel et une dizaine d’autres participants rassemblés autour du thème de l’exil : à Alexandrie, la 4e édition du festival Ecrire la Méditerranée a investi cette année encore, du 9 au 14 avril, pour la quatrième fois, les lieux clés de la vie culturelle de la ville. La manifestation était proposée conjointement par l’Institut français d’Alexandrie, le Centre méditerranéen de littérature et la direction de la célèbre bibliothèque de la ville. Mais elle intervenait dans une phase délicate pour les librairies francophones d’Egypte, dont la principale au Caire, Oum el Dounia, tenait un stand à la sortie de chaque conférence. Pour sa propriétaire, Agnès Debiage, également vice-présidente de l’Association internationale des libraires francophones (AILF), le festival n’est d’ailleurs pas tant l’occasion de décupler les ventes que de se faire connaître.
Rencontrée à la veille du lancement des festivités dans son magasin de la rue Talaat-Harb, dont les fenêtres donnent sur la place Tahrir, la libraire porte un regard désenchanté sur ses deux dernières années d’activité et sur la crise actuelle. « En Egypte, en temps normal, le livre francophone constitue un petit marché qui a du mal à défendre ses intérêts et qui est, à la base, beaucoup plus cher que le livre anglophone, analyse-t-elle. Mais depuis la révolution, notre chiffre d’affaires n’a cessé de baisser, en 2011 d’abord, puis en 2012. Etant donné sa proximité avec la place Tahrir, notre librairie est la plus exposée aux manifestations, souligne-t-elle. Nous avons été obligés de fermer un certain nombre de vendredis, dès que les manifestations prenaient de l’ampleur. »
Révolution et dévaluation.
Aujourd’hui, la nature de la crise qui affecte l’Egypte a changé. Le problème ne réside pas tant dans les manifestations qui dissuadent les clients potentiels de s’aventurer jusqu’aux portes d’Oum el Dounia, mais dans la situation économique particulièrement volatile du pays. La dévaluation de la livre égyptienne, en particulier, affecte directement l’activité des libraires. En quatre mois, d’octobre 2012 à février 2013, le taux de change est passé de 7,80 à 9,16 livres égyptiennes pour 1 euro, et cette tendance ne donne pour le moment aucun signe de ralentissement.Dans une lettre datée du 8 avril, les huit libraires francophones du Caire ont collectivement décrit, à l’intention de la Centrale de l’édition, la récente détérioration de leurs conditions de travail. Délais de virement de plus en plus longs, cartes de crédit limitatives… la liste des obstacles au développement des commerces de livres est longue. Mais la principale difficulté reste l’obligation dans laquelle les libraires se trouvent de régler leurs fournisseurs, de s’approvisionner en devises sur le marché noir faute de pouvoir le faire par la voie légale.
« Quand on fait un devis en livres égyptiennes, il n’est désormais valable que pour une semaine au maximum », observe Agnès Debiage. Or, la période des devis pour les livres scolaires doit commencer vers la mi-mai. « Avec la dévaluation actuelle, le prix du livre a augmenté de 30 %, témoigne aussi Gehane Riskallah, de la librairie Les Amis du livre, spécialisée dans le livre scolaire. C’est trop cher pour beaucoup de parents, mais aussi pour les écoles, en particulier les écoles publiques. Nous nous attendons cette année à une baisse importante des commandes même si, en amont, nous manquons évidemment de visibilité. » Une partie des vingt-cinq écoles francophones du Caire pourraient être tentées de commander moins de livres et de faire des photocopies afin d’assurer le nombre d’exemplaires adéquat tout en respectant les limites de leur budget, craignent les libraires.
« La période actuelle est la plus critique que j’ai connue depuis que j’ai ouvert Oum el Dounia sur Talaat-Harb en 2004, explique Agnès Debiage. Il y a bien eu une dévaluation en 2003mais, à la différence de la situation qui prévaut en ce moment, il s’agissait d’une dévaluation officielle. Aujourd’hui, dès lors que nous sommes obligés de passer par le marché noir, c’est simple : nous payons à perte si nous n’augmentons pas nos prix. »