A l'automne 2000, la maison Flammarion quittait le giron familial et la France, enlevée par un bel Italien en échange d'un peu plus d'un milliard de francs. Une dizaine d'années plus tard, la belle pourrait bien rentrer au bercail. Un scénario qui séduit jusqu'à l'Etat français, prêt à soutenir financièrement tout repreneur de l'Hexagone via le Fonds stratégique d'investissement.
"La mariée ne sera jamais plus belle", affirme un concurrent. L'avenir du marché du livre est assombri par une chute de l'activité en librairie (voir p. 42) et rendu incertain par les mutations numériques. Or Flammarion sort de deux années exceptionnelles : le prix Goncourt de Michel Houellebecq en 2010 pour La carte et le territoire, le succès du régime Dukan en grand format comme en poche chez la filiale J'ai lu, les ventes des albums de Tintin publiés par Casterman, autre filiale de Flammarion, dopées par le film de Steven Spielberg. Depuis deux ans, le chiffre d'affaires net du groupe, hors éditeurs distribués, tutoie les 220 millions d'euros (218,2 millions en 2011 et 220,1 millions en 2010, contre 201,1 en 2009). Cela représente pour son propriétaire italien 42 % de l'activité de sa branche livre. Une belle progression car, il y a cinq ans, Flammarion ne pesait que 30 % de RCS Libri.
SEPTIÈME EN FRANCE
La maison fondée en 1875 par Ernest Flammarion, en 7e position de notre dernier classement des 200 premiers groupes et maisons d'édition en France, devant Gallimard, affiche 27 000 titres au catalogue et un taux de rentabilité proche de 12 %. Elle s'appuie sur des activités diversifiées avec, outre la littérature générale, du livre d'art et des beaux livres, de la jeunesse, du poche, de la bande dessinée... Le groupe dispose aussi d'une équipe de diffusion et d'une société de distribution convoitée, Union Distribution (UD), qui emploie environ 200 personnes et par laquelle passent notamment Actes Sud, les Puf et la RMN-Grand Palais. L'année dernière, 36 millions de livres sont sortis des entrepôts de Sermaises (Loiret), le centre de traitement principal des commandes.
L'histoire commence modestement, à la fin du XIXe siècle, sous les arcades du théâtre de l'Odéon, quand Ernest Flammarion s'associe au libraire Charles Marpon. Il a de l'ambition et se lance dans une politique d'expansion, ouvrant trois succursales entre 1875 et 1880, où il pratique une politique de bas prix, comme dans les grands magasins. En parallèle, il publie des ouvrages et connaît ses premiers succès avec l'édition illustrée de L'assommoir d'Emile Zola (1878) et L'astronomie populaire de Camille Flammarion, le frère de l'éditeur (1879). La maison d'édition se diversifiera peu à peu et se séparera de l'activité librairie en 1895. Pendant quatre générations, elle sera transmise de père en fils, à Charles, à Henri, et enfin à Charles-Henri. Ils engrangeront des prix littéraires, créeront des départements (poche, jeunesse, art), rachèteront des maisons et s'impliqueront dans l'interprofession.
NEUF MOIS DE TRACTATIONS
A l'été 1999, cependant, l'Italien Giorgio Frasca, l'ambassadeur du groupe Fiat en France (où il est P-DG de sa filiale) et de son propriétaire, la famille Agnelli, est approché par la BNP qui cherche à vendre sa participation dans Gallimard. Après un an de tractations, l'affaire capote. Mais les Italiens ont entre-temps pris goût à l'édition française. Un des banquiers évoque cet intérêt auprès de Charles-Henri Flammarion. L'arrière-petit-fils du fondateur, désireux d'accélérer le développement de sa maison qui vient d'acquérir Casterman et de prendre des parts dans les Puf et Actes Sud, tend l'oreille. Les négociations se déroulent pendant neuf mois dans le plus grand secret, avec Giorgio Frasca, Claudio Calabi, administrateur-délégué du groupe Rizzoli-Corriere della Sera (RCS, dont Fiat est actionnaire) et Gianni Valardi, chargé de la branche livre. A la veille de la Foire de Francfort 2000, le monde de l'édition apprend, médusé, que l'un des principaux groupes d'édition indépendants français est désormais italien.
Onze ans plus tard, parmi d'autres candidats, deux des principaux groupes familiaux français espèrent bien rendre Flammarion à sa patrie d'origine.