Une victoire facile contre une prison vide. C’est à peu près la façon dont Claude Quétel nous raconte la prise de la Bastille avec ses sept prisonniers libérés, dont quatre faussaires, deux semi-fous et un vieil aveugle. Alors pourquoi a-t-on élevé ce non-événement en symbole de la Révolution ? En fait, il y eut deux 14 juillet. Celui de 1789 contre la forteresse, « palais de la vengeance des rois », et celui de 1790 qui vit le peuple parisien fusionner lors de la fête de la Fédération.
Il faudra attendre près d’un siècle pour que le choix se fasse. Entre-temps, il y aura eu la tentative d’imposer la Saint-Napoléon le 15 août, le désastre de Sedan, la chute de Napoléon III et le lyrisme d’un Victor Hugo revenu d’exil, plus républicain que jamais, qui se fit le propagandiste d’un 14 Juillet romantique pour marquer la chute du symbole du despotisme royal.
Avec beaucoup d’esprit et même un brin de mauvais esprit, Claude Quétel rapporte les faits et explique que rien ne sera tranché avant le 6 juillet 1880, date où la IIIe République promulgue le 14 juillet fête nationale. Mais que commémore-t-on ? Une prison qui tombe, un peuple qui festoie ? Que célèbre cette réjouissance ? La patrie, les militaires, les bals, les pétards ?
Claude Quétel est un historien éclectique. Ses territoires d’exploration le conduisent de la Révolution française à la Seconde Guerre mondiale, en passant par la psychiatrie qu’il a contribué à revisiter avec une optique différente de celle de Michel Foucault. Il a déjà publié une Histoire véritable de la Bastille (Larousse, 2006) qui sera reprise au format de poche dans la collection « Texto » le 6 juin chez Tallandier.
Plus qu’une histoire de la prise de la Bastille, qu’il rappelle dans les premières pages, il déroule une histoire du 14 Juillet qui court sur plus de deux siècles. Il présente ce grand roman national avec ses chapitres controversés et dont la symbolique ne cesse d’être discutée. Ce fut le cas au moment du défilé de Jean-Paul Goude lors du bicentenaire de la Révolution française. Ce fut également l’occasion après les déclarations d’Eva Joly en 2012 qui faisaient curieusement écho aux propos de Jean-François Revel publiés dans la revue Le Débat en 1989 : « La France est la seule de toutes les grandes démocraties qui célèbre sa fête nationale au moyen d’un étalage massif de ses forces armées. » De cette belle invention, reconnaissons-le tout de même, Claude Quétel conclut : « La seule continuité du 14 Juillet aura été celle de sa controverse. » Expliquer ce qu’il y a derrière un mythe n’en diminue pas la portée. Il permet de mieux comprendre la complexité de l’édification d’une identité nationale et de réfléchir sur l’accumulation des anniversaires, des commémorations, des célébrations et des affirmations communautaires. Comme le dit l’historien, le cadavre du 14 Juillet bouge encore. Sans doute parce qu’il n’est pas vraiment mort… L. L.