6 janvier > Essai France

Aux sciences, elle a préféré les arts. Dans la famille Curie, c’était inattendu. Pourtant, de son père, qu’elle n’a pas connu - elle avait un an lorsqu’il fut renversé par un fiacre - et surtout de sa mère double prix Nobel de physique et de chimie, elle a hérité le goût de se battre et de défendre ses idées, d’abord dans la Résistance, ensuite dans le journalisme, enfin dans les institutions internationales au service des réfugiés puis des enfants. Discrète et méconnue, Eve Curie (1904-2007) méritait donc bien une biographie. Claudine Monteil examine avec finesse cet itinéraire singulier. Déjà auteure de plusieurs ouvrages sur Simone de Beauvoir (Simone de Beauvoir et les femmes aujourd’hui, Odile Jacob, 2011), l’historienne a fait appel aux archives et aux témoignages pour établir ce portrait tout en nuance d’une femme libre comme la France gaulliste qu’elle défendait ou comme cette Amérique qu’elle découvre adolescente, avec sa sœur Irène, lors de la visite triomphale de Marie Curie venue chercher un gramme de radium pour son institut.

Eve compensera la complicité scientifique qu’elle n’aura jamais avec sa mère par la tendresse, l’humour et cette joie de vivre qui contraste tant avec cette famille qui vit la science comme un sacerdoce. Mondaine, elle aime les automobiles et les beaux garçons. Elle s’affiche volontiers aux côtés du dramaturge Henri Bernstein ou du journaliste Philippe Barrès, le fils de Maurice. Mais elle n’oublie jamais celle qui trouve qu’elle se maquille trop. Pour contenir la douleur de la perte de sa mère, elle écrit Madame Curie qui paraît aux Etats-Unis en 1937, puis chez Gallimard l’année suivante. Reporter à Paris-Soir et au New York Herald Tribune, Eve rejoint Londres après l’appel du général de Gaulle qui en fait son ambassadrice auprès des Américains. Parallèlement à ses missions auprès d’Eleanor Roosevelt, elle effectue une série de reportages dans les pays en guerre contre l’Axe pour la presse américaine. Durant son périple qui lui fournit la matière de Voyage parmi les guerriers (Flammarion, 1946), elle rencontre Tchang Kaï-chek en Chine et Gandhi en Inde.

Après la guerre, Eve épouse Henry Labouisse, un diplomate américain. Avec lui elle se retrouve à lutter contre le communisme comme femme de l’ombre de l’Otan alors qu’Irène et Frédéric Joliot-Curie sont proches du PCF. Plus tard, elle aidera les réfugiés de Palestine à Beyrouth et se montrera très active au sein de l’Unicef. Claudine Monteil montre bien que la seule à avoir échappé aux effets nocifs du radium dans cette famille illustre n’en reste pas moins une Curie. Laurent Lemire

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