Dans son livre Chers imposteurs (Fayard), M. Jean Bothorel écrit :« Notre littérature, dans ce qu’elle avait de spécifique et de puissant, s’est éteinte au tournant des années 1960. » Trente-trois pages plus loin, il évoque « la petite trentaine de nos romanciers qui vaillent (sic) – je parle ici des romanciers nés dans la seconde moitié du XX° siècle. » Ce qui ne l’empêche pas, au dos du livre, de diagnostiquer « l’étonnante médiocrité de la production dite romanesque ». Eh bien je ne suis pas d’accord. D’abord, je le trouve bien péremptoire, bien sûr de lui et de ses jugements souverains, ce M. Bothorel. Qui est-il donc, pour trancher ainsi de tout ? Et par ailleurs, s’il considère qu’il existe « une petite trentaine de romanciers qui vaillent (sic) », ce qui veut donc dire que notre littérature n’est pas si éteinte ni médiocre que ça, il serait mieux inspiré d’utiliser sa plume talentueuse pour les prôner et les soutenir, au lieu de consacrer des pages et des pages plus ou moins aigres à taper sur Philippe Sollers ou sur Camille Laurens, qu’il n’aime pas (ce qui est son droit). A propos de cette dernière, M. Bothorel dénonce ce qu’il appelle « la littérature du vécu ». Soit. Mais il n’a pas l’air de se rendre compte qu’il contribue par là même à accréditer l’idée qu’il n’existerait plus que cela. Or c’est justement le lieu commun machinalement répété depuis des années maintenant par une bonne partie de cette critique littéraire dont il dénonce l’affaissement, mais dont il reprend la rengaine. Car le paradoxe est là : tout le monde est d’accord pour monter en épingle et pipoliser trois ou quatre raconteurs inlassables de leurs traumas d’enfance ou de leurs histoires de cul ; et tout le monde, la semaine d’après, déplore le narcissisme du roman français. M. Bothorel évoque lui-même le fameux article de Time Magazine annonçant la mort de la culture française ; mais qui tient la plume à l’autre ? Si nous sommes les premiers, ici en France, à clamer aux quatre vents que nous ne sommes plus bons à rien, comment s’étonner qu’à New York, à Milan ou à Berlin, on finisse par le croire ? Cela est profondément injuste. Je prétends, moi, qu’il se trouve aujourd’hui en France, dans le roman, au cinéma, à la scène, dans la musique et la chanson, dans la pensée, des créateurs sérieux, novateurs, significatifs. Et que le devoir des journalistes, des critiques, et aussi des aînés, est de les aider et de les faire connaître. Ce qu’ils font, d’ailleurs, assez souvent. Parce que là encore, c’est bien joli de mépriser tout le monde, mais dans les journaux et les médias, il y a des gens qui travaillent, M. Bothorel, et qui travaillent de leur mieux. Et puis enfin, je commence à en avoir soupé, de tous ces vieux radoteurs du déclin qui nous annoncent chaque semaine la fin de la culture. Au fait, à qui la faute ? Depuis le temps que vous êtes là, vous n’aviez qu’à en produire, vous, de la « vraie » culture, puisque apparemment vous savez ce que c’est ! Vous n’aviez qu’à l’être, vous, le vrai bon critique du bon vieux temps, exigeant, sagace, respecté ! Vous n’aviez qu’à l’être, vous, l’écrivain « spécifique et puissant » ! Vous n’avez pas su le faire ? Vous le regrettez ? C’est fort dommage. Mais la « petite trentaine de romanciers qui vaillent (sic) », expédiée en deux lignes pour retourner à vos règlements de comptes germanopratins avec BHL, eh bien vous savez ce qu’elle vous dit, « la petite trentaine » ? * * * Aventures du Net. Premier temps (c’est déjà vieux) : le Net commence à diffuser des informations que les journaux traditionnels ont loupées ou pas eu le temps de traiter. Puis les blogueurs s’y mettent et sortent parfois d’excellents papiers. Deuxième temps : les journaux et journalistes « traditionnels » s’y intéressent, créent de nouveaux sites ; certains blogs de qualité s’imposent, sont cités ; moyennant quoi on annonce la mort imminente de la presse papier. Troisième temps : le Net est formidable, on y trouve une foule de choses, mais il y a de tout, il faut séparer le bon grain de l’ivraie, ce qui n’est pas facile. Alors une équipe compétente se met au travail pour sélectionner ce qui en vaut la peine, et publie le produit de sa sélection… sur un journal en papier. C’est Vendredi . Je trouve la parabole intéressante, aux deux sens du mot parabole.
15.10 2013

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