3 NOVEMBRE - BEAU LIVRE France

Cimon et Pero ou La charité romaine de Rubens, 1625, Rijksmuseum à Amsterdam.- Photo DR/LE TOUCAN

Tout a commencé lors d'une émission de télévision à laquelle elle est conviée. Camille Laurens est surprise par le commentaire qu'un éminent architecte également invité et que la romancière ne connaît pas personnellement fait à son endroit : "Elle me terrifie ! Non, vraiment, je la trouve terrifiante. Ce qu'elle écrit, cette histoire d'amour... Non je la trouve magnifique, mais je suis terrifiée." S'il y avait sans doute de l'humour dans les propos de l'architecte, il masquait mal un malaise que l'auteure de Romance nerveuse (Gallimard, 2010) identifie comme un archaïque a priori contre les femmes, préjugé mêlé d'effroi et de fascination.

Mais Camille Laurens ne veut pas s'en tenir au simple constat, elle décide d'enquêter sur ces "femmes terrifiantes". Le fruit de cette réflexion est un essai doublé d'un beau livre aux éditions du Toucan : Les fiancées du diable. A travers 13 chapitres allant de "L'origine du mal" à "La mort", l'enquête se décline avec intelligence et beauté (oui, cela est possible, et même sans qu'on y trouve aucun vice caché). Le texte est illustré par des chefs-d'oeuvre de la peinture (Judithet la tête d'Holopherne de Cranach, La tête de Méduse du Caravage ou encore Phyllis chevauchant Aristote d'Hans Baldung) qui en disent long sur cette misogynie. C'est qu'au commencement était la femme, ce "deuxième sexe" qui dans la plupart des mythes de la création de par le monde est l'origine de la chute de l'homme. Eve pousse Adam à manger le fruit prohibé, Pandore ouvre la boîte dont sortent tous les maux de la Terre... La femme est truchement du malin, suppôt du diable (combien de femmes accusées de sorcellerie ont péri sur le bûcher !). Nombre d'écrits religieux théorisent ce statut de tentatrice. Tertullien, l'apologue du christianisme du IIe siècle, ne saurait le dire plus clairement : "Femme, tu es la porte du démon ! C'est toi qui as découvert l'arbre défendu, c'est toi qui, la première, as violé la loi divine, toi qui as corrompu celui que Satan n'osait attaquer en face, toi enfin à cause de qui le Christ est mort." La femme, pourtant, à travers les madones, n'a pas cessé d'être célébrée, mais c'est cette ambiguïté même qui pose problème : "Maman, amante, mante (religieuse) : telle est donc la mère." L'angoisse qui pétrifie les hommes, tel le sort que jette avec son regard la Méduse, n'est-ce pas en vérité la peur de la sexualité, cette sexualité par laquelle tout homme naît et devient mortel ? Eros et Thanatos dansent le tango, et la terreur aiguillonne tout aussi bien le désir. Et l'essayiste de citer l'"ironie roborative" d'Hélène Cixous : "Ils ont besoin que la féminité soit associée à la mort ; ils bandent par trouille ! pour eux-mêmes ! ils ont besoin d'avoir peur de nous."

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