Romans

La rentrée littéraire dévoile ses charmes

Olivier DION

La rentrée littéraire dévoile ses charmes

Après un premier semestre dégradé, les espoirs se reportent sur la rentrée littéraire qui, trois mois avant son coup d’envoi, est déjà bien engagée. Les éditeurs de littérature ont commencé leur parade auprès des libraires et des lecteurs, les alléchant tant sur le fond, avec des programmes resserrés autour d’auteurs de marque et de romans plein d’ambition, que sur la forme, avec des livres aux couvertures repensées.

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Par Anne-Laure Walter, François Oulac, Claude Combet, Hervé Hugueny, Cécile Charonnat
Créé le 16.05.2014 à 02h41 ,
Mis à jour le 19.05.2014 à 10h14

L’anticipation serait-elle une réponse à la crise ? "A ce rythme-là, nous allons commencer la préparation de la rentrée dès janvier", s’exclame la présidente du directoire d’Actes Sud, Françoise Nyssen, amusée mais pas étonnée d’être interviewée sur la rentrée littéraire début mai. Depuis janvier, les indicateurs économiques sont dans le rouge avec un premier trimestre où l’activité en librairie se dégrade de 4 % (voir p. 35). Alors, pour mettre du baume au cœur, on annonce au plus vite les réjouissances à venir, dévoilant dès à présent le contenu des romans qui feront le deuxième semestre. Les premières réunions de préparation de la rentrée avec les représentants se sont tenues en avril. Les romans arrivent depuis le début de ce mois dans les rédactions et les librairies sous forme d’épreuves voire de livres imprimés. D’ailleurs, Livres Hebdo proposera dès la semaine prochaine ses premières "avant-critiques" des romans de la rentrée. Le 6 mai, même la presse grand public, à l’instar du Figaro, dévoilait le nom des auteurs qui feront parler d’eux à partir de la fin août. Pas de doute, la rentrée est déjà là.

Tout l’été, Place des éditeurs (Belfond/Presses de la Cité) va déployer un teasing numérique avec des extraits de romans et des vidéos, via sa communauté de lecteurs (200 000 personnes), pour "donner envie de lire les livres avant leur sortie en août", explique le P-DG, Jean Arcache. "Les livres de la rentrée paraissent dès la mi-août, si bien que les éditeurs les positionnent aussi comme des lectures de vacances", note Véronique Bruneau, libraire à Cultura, croisée à la soirée de présentation des programmes aux libraires.

 

Raouts de rentrée

 

Cette année, en effet, la saison des grands raouts de rentrée à destination des libraires s’est ouverte avec un mois d’avance, dès le 6 mai, avec la grand-messe de Buchet-Chastel en présence de 70 professionnels. Vera Michalski, sa présidente, se réjouit du "très bel écho" qu’elle a perçu. Les retours des libraires lui ont permis de se faire un "hit-parade empirique" et de découvrir que les attentes se focalisaient sur le roman de Marie-Hélène Lafon. Ces shows sont "le moment où on oublie le contrôle de gestion et où on parle des livres, c’est magique", se réjouit François Chasseré, directeur commercial de Place des éditeurs, qui a fait sa soirée de rentrée le 13 mai. Les éditeurs soignent particulièrement leurs relations avec les libraires, notamment du premier niveau - relais primordial d’une rentrée littéraire -, qui se maintient face à la crise. Rivages, qui mise fortement sur Rouge ou mort de David Peace, organisera pour la première fois des rencontres avec les responsables de points de vente, accompagnant la tournée d’Actes Sud, désormais sa maison mère et son diffuseur. Denoël, qui programme quatre romans pour la rentrée, dont Le clan suspendu d’Etienne Guéreau et Gueule de bois d’Olivier Maulin, commence "à construire [son] image chez les libraires et à gagner petit à petit en crédibilité", selon sa directrice Béatrice Duval, qui prévoit des rencontres en petits comités sous forme de petits-déjeuners.

 

Dans tout le pays

 

Actes Sud change de format et abandonne sa journée complète de présentation. "Nous privilégions des rencontres tous azimuts dans tout le pays plutôt que la grand-messe à l’Odéon", indique Françoise Nyssen, une démarche en phase avec la nouvelle organisation de ses forces de diffusion, avec des zones de couverture réduites pour plus de proximité. Il y aura quand même un temps fort à Paris le 11 juin autour d’un roman de Siri Hustvedt, et probablement un accompagnement en septembre "pour être plus présent au moment où les livres arrivent en librairie", selon Françoise Nyssen.

Les libraires participeront activement à certaines rencontres. Albin Michel, qui aborde cette rentrée avec une relative tranquillité, fort de la prolongation du succès du Goncourt Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre (540 000 exemplaires vendus), a confié la présentation d’une partie de ses onze titres de la rentrée, dont l’annuel d’Amélie Nothomb et L’enfant des marges de Franck Pavloff, à quelques libraires choisis lors de la matinée de rentrée littéraire prévue à Paris le 16 juin. Certains groupements ont préparé leur propre présentation pour leurs confrères, tel Libraires ensemble le 19 mai, ou la grand-messe de Page des libraires à la BNF le 2 juin.

Le cru 2014, qui sera présenté dans le détail dans Livres Hebdo du 27 juin, s’annonce plus resserré autour d’auteurs déjà primés et de gros vendeurs. Certes, tout éditeur dira que le contexte économique n’influe pas sur la programmation. "Il ne faut pas se laisser guider par le contexte financier. L’économie est au service de la conviction éditoriale et non l’inverse", souligne par exemple Françoise Nyssen. Il y a cependant du chiffre d’affaires à rattraper. "Nous ne serions pas éditeurs si nous n’étions pas des optimistes acharnés, lance Teresa Cremisi, la P-DG de Flammarion, qui poursuit sa stratégie de rentrée resserrée avec trois romans étrangers et six français. Certes, nous avons besoin de bonnes ventes car même si nos livres du début d’année ont été repérés par la presse et se sont bien vendus, les scores restent en dessous de ce que nous aurions fait il y a encore quelques années." Chez Grasset, qui programme 16 titres, le P-DG, Olivier Nora, concède : "Le marché est difficile et nous sommes tous soucieux de voir si la rentrée littéraire lui apportera de l’oxygène. Cette rentrée sous tension nous donnera des indications sur la durée de la crise."

 

 

Extrême volatilité

 

Les enjeux de cette rentrée sont d’autant plus importants que plusieurs maisons ont changé tout récemment de P-DG (Stock, Laffont, Fayard) ou de responsables littéraires (Rivages, Autrement, Flammarion…). Tandis que ces derniers sont bien décidés à faire leurs preuves, le jeu de chaises musicales suscite une extrême volatilité parmi les auteurs, qui ne sont plus forcément attachés à une écurie, et une concurrence accrue pour les attirer, même s’ils sont débutants. "Nous sommes conduits à réagir de plus en plus vite", constate Vera Michalski, rejoignant le sentiment de Manuel Carcassonne chez Stock (voir ci-contre).

S’il est trop tôt pour faire un décompte précis du nombre de romans à paraître, les principaux éditeurs stabilisent ou réduisent leur production. Cécile Boyer-Runge, qui mènera sa première rentrée comme P-DG de Laffont-Julliard, annonce "une rentrée à la fois équilibrée et plus resserrée" sur 8 titres contre 11 l’an passé (3 pour Julliard dont Fouad Laroui, 5 pour Laffont dont John Banville). "A croire que l’on prévoyait la crise, puisque la réduction de la production date de 2010, note pour sa part Teresa Cremisi. Nous faisons une rentrée à la mesure de nos forces, pour que personne ne reste sur le côté de la route." Chez Calmann-Lévy, la directrice générale, Florence Sultan, prépare une rentrée sans auteurs français, et concentrée, "de façon à ne pas être noyé dans la masse", sur deux titres étrangers, Le printemps du loup de l’Italien Andrea Molesini et Bureau des spéculations de l’Américaine Jenny Offill. "Resserrement" aussi au Seuil qui, fort du succès au premier semestre du roman d’Edouard Louis (165 000 sorties), aborde la rentrée "avec une certaine sérénité, mais réalisme, car nous sommes confrontés aux mêmes difficultés que les autres", confie le P-DG, Olivier Bétourné. Par rapport à la rentrée 2013, portée par "une formidable leader, Chantal Thomas, cette année est à la fois plus littéraire et plus commerciale, dans des univers très singuliers d’écrivains. Si nous étions à moins de 250 000 exemplaires au global, avoue-t-il, je serais déçu".

 

La première impression

 

Pour assurer une meilleure réception des textes, plusieurs éditeurs soignent également la forme, repensent leurs couvertures ou retravaillent des jaquettes ou des bandeaux. La première impression reste cruciale, car il s’agit de susciter une prise en main par le client. Stock a revu sa "Cosmopolite" pour qu’elle se rapproche de sa collection de littérature française. Autrement repense la maquette de ses deux romans de rentrée pour "un format légèrement réduit, beaucoup plus littéraire", explique l’éditrice de la littérature Raphaëlle Liebaert, qui a rejoint Emmanuelle Vial à la fin de 2013. Le nom de l’auteur se place désormais en haut et en majuscule et le titre plus petit en minuscule. "L’idée est de développer un catalogue d’auteurs, des nouvelles plumes et non des redécouvertes, que nous allons suivre dans la durée", précise-t-elle. Flammarion ne touche pas à ses couvertures, mais fait deux jaquettes pour les livres qui vont rentrer dans des lieux de grande diffusion, les romans d’Olivier Adam et d’Eliette Abécassis. Les bandeaux sur chaque couverture évoluent avec un cadre blanc autour de la photo. Enfin, Frédéric Martin (ex-Attila), pour sa première rentrée sous le label Tripode, a réussi à convaincre la photographe Desiree Dolron d’accepter pour la première fois que son travail serve à une couverture de livre, s’affichant sur celle de L’homme qui s’aime de Robert Alexis.

Anne-Laure Walter, avec Claude Combet, Hervé Hugueny et François Oulac

Les romanciers qu’on attend

Emmanuel Carrère- Photo O. DION

La rentrée littéraire réserve des surprises qui font le charme de ce rendez-vous, mais elle sera d’abord tirée cette année par quelques têtes d’affiche. L’un des romans les plus attendus est celui d’Emmanuel Carrère qui, toujours chez P.O.L, revient trois ans après Limonov, prix Renaudot. Le royaume raconte sur 640 pages les débuts de la chrétienté, au Ier siècle après J.-C., mettant en scène saint Paul et saint Luc dans un roman-enquête où l’auteur mêle histoire et réflexions personnelles.

Alice Ferney- Photo MELANIA AVANZATO
Chez Actes Sud, Alice Ferney fera parler d’elle avec Le règne du vivant en touchant à un sujet d’actualité, l’écologie, avec un personnage de militant écologiste qui parcourt les mers pour arraisonner les baleiniers. Le tsunami au Japon de mars 2011 est au cœur d’Autour du monde de Laurent Mauvignier chez Minuit. Viva de PatrickDeville, au Seuil, met en scène Léon Trotski et Malcolm Lowry dans le Mexique des années 1930.
Chez Grasset, qui programme Christophe Donner, Pascal Quignard et Bernard-Henri Lévy, le nouvel académicien Dany Laferrière livrera une "autobiographie de [ses] idées" dans L’art presque perdu de ne rien faire, tandis que Frédéric Beigbeder s’intéressera dans Oona & Salinger aux amours entre le discret auteur de L’attrape-cœurs et la jeune Oona O’Neill.
Olivier Adam- Photo D. IGNASZEWSKI/KOBOY/FLAMMARION
Quittant les côtes de la Manche pour une station balnéaire de la côte d’Azur, Olivier Adam poursuit son portrait de la société, reflet du monde en crise, dans Peine perdue, chez Flammarion, qui accueille aussi de nouvelles plumes comme Eliette Abécassis, Laurence Tardieu ou Minh Tran Huy.
David Foenkinos- Photo O. DION
David Foenkinos publie Charlotte, sur une artiste peintre juive allemande, déportée à Auschwitz à 26 ans, et côtoie pour cette rentrée chez Gallimard Catherine Cusset, Benoît Duteurtre, Eric Reinhardt ou Jean-Marie Rouart. Verticales retrouve Olivia Rosenthal (Mécanismes de survie en milieu hostile), Zulma Jean-Marie Blas de Roblès (L’île du Point Némo), et Viviane Hamy François Vallejo avec Fleur et sang, mêlant la vie de deux jeunes médecins à travers les siècles.
Grégoire Delacourt sera pour la première fois programmé à la rentrée chez Lattès. Et bien sûr, fidèle au poste pour sa 22e rentrée littéraire chez Albin Michel, on retrouvera Amélie Nothomb avec Pétronille, une histoire d’amitié tirée à 200 000 exemplaires.

 

A.-L. W.

Qu’est-ce qu’une bonne couv’ ?

Pour Lydie Zannini, directrice de la librairie du Théâtre à Bourg-en-Bresse, les jaquettes des livres se doivent avant tout d’être attrayantes afin d’amorcer le travail du libraire.

Quel est pour vous le secret d’une couverture réussie ?
C’est évidemment difficile de généraliser et, à chaque fois, cela dépend et du livre et du client. Mais en dehors des considérations subjectives, une couverture réussie accroche le regard, détonne, intrigue et amène finalement le client à prendre le livre en main, à le retourner et, encore mieux, à l’ouvrir. Cela facilite le travail du libraire qui, une fois cette démarche entreprise par le client, peut interférer dans le geste et amorcer la discussion.

Quelques exemples ?
Je pense notamment au Réveil du cœur de François d’Epenoux, chez Anne Carrière. Avec sa couverture orange, ce livre était voué à finir au pilon. L’ajout d’un bandeau, beaucoup plus évocateur puisqu’il figure un grand-père et un enfant, a poussé les gens à le regarder et a sans doute contribué à son succès. Il en va de même pour Dernier désir d’Olivier Bordaçarre chez Fayard. Le bandeau est venu contrecarrer la jaquette, terriblement moche. La couverture a vraiment un pouvoir considérable, du genre "ça passe ou ça casse".

Une mauvaise jaquette peut donc enterrer un livre ?
J’en suis persuadée. Un graphisme qui ne fait pas sens, qui n’évoque rien, peut bousiller un livre ou même une collection, comme "Fayard noir" il y a quelques années. Personne ne regardait les livres. C’est aussi ce qui est arrivé à Actes Sud quand ils ont voulu ressembler à Gallimard. Les gens ne prenaient plus leurs livres. Une maison doit faire très attention lorsqu’elle veut tout bouleverser alors qu’elle tient une ligne graphique identifiée. Cela peut se révéler dangereux.

Propos recueillis par Cécile Charonnat

Manuel Carcassonne : "Il y a une concurrence effrénée pour les écrivains"

 

Venu l’été dernier de Grasset, le successeur de Jean-Marc Roberts à la tête de Stock confie ses projets pour la rentrée littéraire et au-delà.

 

Photo OLIVIER DION

De Grasset, avec son comité de lecture omniprésent, à Stock et son équipe resserrée, le dépaysement était au rendez-vous pour Manuel Carcassonne. Arrivé à l’été 2013, le successeur de Jean-Marc Roberts a eu le temps de s’acclimater à son nouveau poste. Rencontré dans son bureau de la rue de Fleurus, à Paris, le nouveau P-DG revendique une prise de fonction "sans rupture". Il a mis en branle plusieurs projets, parmi lesquels la prochaine rentrée littéraire sera un rendez-vous crucial.

Avec 88 titres prévus sur toute l’année 2014 dont 10 nouveautés pour la rentrée, Stock se situe "totalement dans la moyenne" par rapport aux années précédentes. La maison a déjà initié plusieurs virages. Côté marketing tout d’abord, des innovations visuelles ont été introduites, avec une refonte de la collection "La cosmopolite", dont le format, les couvertures et la typographie se sont rapprochés de la "Bleue", et dont la couleur est passée de rose à prune.

Une vaste opération de promotion autour de Françoise Sagan a également été lancée, propulsée notamment par le livre d’Anne Berest, Sagan 1954. Côté éditorial, Manuel Carcassonne prévoit un développement de l’édition de premiers romans : cinq sont prévus à la rentrée. Pour les libraires, une dizaine de réunions sont prévues afin de leur présenter les ouvrages qui rejoindront leurs rayons.

Le nouveau P-DG de Stock ne peut s’empêcher de constater un durcissement de la concurrence entre les éditeurs pour les nouvelles signatures. "Il y a une concurrence effrénée pour les écrivains", affirme Manuel Carcassonne, qui décèle "un changement de mœurs. Il faut se battre même pour des inconnus, observe-t-il. La vie éditoriale s’est professionnalisée, il y a aussi plus d’exigences de la part des auteurs". Il est par ailleurs plus difficile de retenir les plumes prometteuses, comme la Belge Caroline De Mulder, longtemps convoitée par Stock, mais dont le prochain roman Bye bye Elvis paraîtra finalement chez Actes Sud.

 

"Créer la surprise"

 

Au-delà de la rentrée, Stock apporte aussi du changement dans son éventail de collections. Manuel Carcassonne ambitionne de "consolider" la "Framboise" et d’arrêter la collection "L’autre pensée". Parallèlement, une nouvelle collection verra le jour dès l’année prochaine. L’éditeur veut aussi plus de documents internationaux.

Si quelques auteurs ont quitté la maison depuis l’arrivée de Manuel Carcassonne, de nombreux écrivains ont fait le chemin inverse, pointe-t-il : Colombe Schneck, Saphia Azzeddine, Paula Jacques, Didier Decoin, le journaliste Laurent Joffrin devraient ainsi publier chez Stock. "On a aussi eu des signaux de Jean-Pierre Coffe", ajoute Manuel Carcassonne. Celui-ci évoque au total la signature de "130 contrats", qui viennent souligner le caractère charnière de la rentrée littéraire pour Stock. Avec le même enjeu crucial que pour la plupart des éditeurs, selon Manuel Carcassonne : "Trouver des relais de croissance, créer la surprise".

F. O.


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