L’expression « petite musique » semble être faite pour lui. Plus que jamais avec Je ne retrouve personne, son nouveau roman qui s’annonce trois ans après Le journal intime de Benjamin Lorca (Verticales, repris en Folio), Arnaud Cathrine arrive à creuser les émotions et les fêlures. A évoquer les relations entre les êtres et la vie qui nous bouscule.
Aurélien Delamare est un romancier de 35 ans qui a déjà publié six romans. Le dernier, qu’il aurait pu ne pas écrire et dont il n’est pas très fier, vient de sortir. Son frère Cyrille, son aîné de trois ans, documentariste toujours « coincé » par ses tournages, a besoin de lui. Pharmaciens en retraite à Nice, leurs parents ont décidé de mettre en vente la maison familiale de Villerville où ils ne passent plus qu’un mois l’été et où leurs fils ne vont plus guère.
« Aurèle » reprend donc le chemin de son village natal. Et de la « villa » en front de mer où il a grandi « et toujours vécu les yeux secs, dents serrées ». A l’intérieur, il trouve une odeur d’humidité, des vieux livres, des VHS et une chaudière en panne. L’écrivain n’est pas au mieux de sa forme. Il ne se remet pas de sa séparation avec Junon, sa compagne qui voulait un enfant. Enfant dont il ne voulait pas et qu’elle a eu sans lui. Le voici seul à Villerville, en arrière-saison, où les magasins sont fermés le lundi. De la cave paternelle, il extrait d’abord un château margaux 2005 qui l’aide à tenir le coup tandis qu’il repense à Duras et relit les Papiers collés de Perros. L’émissaire de l’agence immobilière chargée de faire une estimation s’avère être une vieille connaissance.
Fils d’ouvrier, Hervé Mallet était son « meilleur ennemi » d’alors. Quand Aurélien se sentait écrasé et dominé au quotidien. Trop frêle et trop fragile. Marié avec des enfants, sanglé dans un costume mal ajusté, Hervé lui apprend la mort d’un autre acolyte de l’époque, Benoît Dehais. Aurélien sait qu’il « n’y a pas de bon vieux temps (…) il n’y a que du temps révolu ». Au lieu de se plier à la promotion de son livre, il décide de prendre le large, la tangente. Très vite, cet homme dont l’un des romans s’intitule justement Le provincial, comprend qu’il est d’ici. Que Paris n’est au fond qu’une ville « d’adoption ». Si ses relations avec Cyrille restent tendues, il trouve du réconfort lorsqu’il croise Irène, rhumatologue qui connaît son travail. Où lorsqu’il accepte de garder pour les vacances la petite Michelle, la fille de Junon dont il est le parrain de cœur…
Arnaud Cathrine, dont Nos vies romancées (Stock, 2011) ressort au Livre de poche, a un sens inné du climat et du flottement. Une manière très particulière de sublimer la mélancolie, d’évoquer les blessures et les doutes. D’une rare subtilité, sa petite musique est de celles qu’on n’oublie pas. Alexandre Fillon