Les éditeurs ont parfois de bonnes idées. Quand l'un d'eux suggère à Guillaume de Dieuleveult de raconter une traversée, le reporter du Figaro se souvient d'une promesse faite à un ami algérien : un jour j'irai te voir à Oran. L'ami n'y a pas vraiment cru. C'était donc l'occasion de lui montrer que les promesses engagent aussi ceux qui les font. Mais on ne s'embarque pas dans un tel périple sans un lourd bagage. Qu'on le veuille au non, on emporte avec soi le poids de l'histoire. Voilà pourquoi cette traversée est aussi celle des apparences, des souvenirs et des traumatismes de la guerre. « Voyager, c'est surtout découvrir d'autres formes de laideur. »
De la laideur, il n'y en a peu dans ce beau récit qui chemine entre mémoire et émotion, sauf quand il s'agit des horreurs de la guerre. La misère est en revanche bien présente, une misère dorée au soleil qui paraît plus douce mais qui n'en est pas moins terrible.
L'histoire violente de la conquête de l'Algérie alterne avec les déambulations d'aujourd'hui. Le journaliste part à la recherche de l'ancienne librairie d'Edmond Charlot, l'éditeur de Camus, aujourd'hui annexe de la bibliothèque municipale d'Alger. Il se rend aussi sur le site de Tipasa où une pierre porte encore une phrase de l'écrivain. « Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. »
Guillaume de Dieuleveult voyage en souhaitant « éprouver l'épaisseur de cette frontière liquide qui depuis toujours nous sépare, nous relie, nous rapproche et nous éloigne. » Il y parvient. « Je dévorai Oran des yeux », cette ville qui tourne le dos à la mer et que Camus qualifiait de « capitale de l'ennui assiégée par l'innocence et la beauté ».
Il se laisse gagner par la mélancolie en regardant le soir tomber et en plongeant dans son vieux guide rouge de l'Algérie publié en 1960. « J'avais l'impression de le promener avec moi comme un petit animal de compagnie à qui j'aurais voulu montrer, à mon tour, ce qu'Oran était devenue. » Et puis, il y a Alger, à un peu plus de 400 kilomètres. Guillaume de Dieuleveult s'y rend en train, toujours sur les traces de Camus, l'enfant pauvre de Belcourt, l'Algérois solaire.
« A Alger, vous êtes sans cesse happé par quelque chose qui vous enveloppe et vous captive. La misère, la beauté, la foule, le passé. Surtout le passé, l'ancien et le récent, celui qui passe et celui qui ne passe pas. » Comme Tocqueville, Alphonse Daudet, Montherlant et tant d'autres, qui ont arpenté cette terre lumineuse et auxquels il fait référence, Guillaume de Dieuleveult revient sur cette relation tumultueuse. Mais l'histoire qui s'installe ici est un peu comme le soleil au zénith. Il peut vous chauffer ou vous brûler.
Un paquebot pour Oran
La librairie Vuibert
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19,90 euros ; 256 p.
ISBN: 9782311102178