Fuir. Fuir les assignations à résidence. Fuir non comme l’on se rend à l’ennemi ou à l’évidence, mais non réconcilié, en un geste aussi souverain que radical. Une nuit d’hiver, quitter Paris, direction le sud, 1 400 kilomètres plus bas, Cadix, l’Andalousie et son impossible douceur. Dans le coffre de la berline allemande que l’on vient de voler, un cadavre qui hésite encore à se décomposer ; au volant, un homme brutal et déchiré, un complot de colère et de chagrin.
Cet homme est le héros de La terre sous les ongles, le premier roman d’Alexandre Civico, un des membres fondateurs du collectif Inculte. Il y a dans ce livre mince, sec et porté par une belle énergie rageuse, quelque chose qui serait de l’ordre du manifeste ou de l’art poétique. Du roman considéré non comme un sujet (ici, puisque le héros est un fils d’immigré espagnol, le plafond de verre, les déterminismes sociaux, la violence des rapports de classes), mais comme un paysage. Il n’est de littérature que de voyage, que de mouvement, que de déplacement des lignes de fuite. Ce sera donc, "pendant l’horreur d’une profonde nuit", des stations-service d’autoroute, des bistros hagards, quelques clopes, "transpercer la France, en travers, bulle visqueuse, matière molle". Et pendant ce temps-là, le souvenir du voyage initial que fit son père, dans l’autre sens, de la misère à l’humiliation.
Pour son coup d’essai romanesque, Civico refuse joliment toute maîtrise et les enjeux narratifs classiques. Son affaire, c’est la langue, le style, en ce qu’ils sont d’abord des enjeux politiques. C’est-à-dire, bien entendu, des enjeux littéraires. Olivier Mony