22 mai > Mémoires Royaume-Uni

Flanquée de ses cochers et de ses valets de pied assortis à sa tenue, elle-même affublée de toilettes extravagantes, chapeau et cheveux lâchés, ample décolleté, Margaret Cavendish (1623-1673), duchesse de Newcastle, ne passait pas inaperçue. Samuel Pepys consigne dans son journal : "Je ne lui ai ouï dire qui soit digne d’être rapporté, sinon qu’elle était remplie d’admiration, éperdue d’admiration." Admiration de soi, s’entend. A rebours de la convention sociale, celle qui s’autoproclamait "Margaret première" dans Le monde glorieux, une fantaisie utopiste, signe tous ses écrits et les publie dans de luxueux volumes. L’effacement auctorial est de mise dans la noblesse de l’époque, les Maximes de La Rochefoucauld, par exemple, avaient paru de manière anonyme. Mais Margaret Cavendish n’entend pas être discrète : elle est la première femme des lettres anglaises à se revendiquer authoress, "autrice", et à pratiquer ce que Rousseau inaugurera avec ses Confessions : une écriture du moi assumée, autofiction avant la lettre.

Relation véridique de ma naissance, de mon éducation et de ma vie est le long titre donné à des Mémoires brefs, traduits pour la première fois en français et accompagnés d’un excellent appareil critique. Origines, famille - elle est née dans la gentry du comté d’Essex - et prestigieux mariage avec le futur duc de Newcastle, Margaret Cavendish retrace un itinéraire chahuté par les violences de la guerre civile et l’exil en France et à Anvers pendant la République de Cromwell. C’est le ton qui étonne ici - cette farouche ambition de vouloir constamment se hisser dans les sphères de l’esprit (wit) : "Je dois avouer, à la louange de mes pensées, que je ne les ai jamais surprises en un moment d’oisiveté, car si les sens ne leur donnent point de quoi travailler, elles le trouveront en elles-mêmes, comme ces vers à soie qui tirent et tissent leur fil de leurs propres entrailles."

Son salon, à Paris, était fréquenté par Hobbes, Gassendi ou Descartes ; de retour à Londres, elle sera la seule femme admise à assister aux réunions de la Royal Society, équivalent anglais de l’Académie des sciences. Petit bijou d’égotisme farfelu, cet ouvrage est l’autoportrait d’une écrivaine prolixe au panthéon des excentriques, dont Virginia Woolf dira : "On croirait que quelque concombre géant a envahi et pour finir étouffé tous les œillets et toutes les roses du jardin."

S. J. R.

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