L’affaire de l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon est étonnante par les passions qu’elle suscite. Et rassurante sur le fait que, durant la pandémie, la crise économique ou en réponse aux menaces venant de Donald Trump ou de Poutine, notre pays de lettrés se chamaille à longueur de tribunes sur la place que devraient occuper les restes de deux de ses plus grands poètes.
Loin de moi de livrer ici une opinion sur le fond de cette querelle et de me prononcer sur l’existence ou non d’un couple, sa reconnaissance, la valeur des poètes comparée à celle des romanciers, etc. Avouons juste, en préambule de cette chronique juridique, et pour être transparent sur mes potentiels conflits d’intérêt, que, quand je finissais mes études en Belgique, j’ai pris la route un week-end pour aller me recueillir sur la tombe de Rimbaud à Charleville-Mézières (après avoir vu sa maison natale transformée alors en France-Loisirs !) et que j’ai dîné place Rouppe à Bruxelles parce que c’est là que Rimbaud a tiré sur Verlaine le 10 juillet 1873…
L’avocat que je suis veut, en revanche, dire son mot… de droit sur ce grave litige qui divise la France des lettres.
Droit moral
Parlons d’abord du droit moral, invoqué à tort et à travers depuis quinze jours.
Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) désigne quatre attributs du droit moral : droit de divulgation, droit au respect du nom et de la qualité, droit au respect de l’œuvre et droit de retrait ou de repentir.
Les droits moraux possèdent certains caractères qui en font des droits beaucoup plus forts que les droits patrimoniaux. Le deuxième alinéa de l’article L. 121-1 du CPI énonce tout d’abord que le droit moral est attaché à la personne de l’auteur. Ce qui revient à dire qu’il est intransmissible du vivant de l’auteur. Le même article précise d’ailleurs que les droits moraux sont inaliénables. L’auteur ne peut en être dessaisi d’aucune façon.
Il ne peut non plus les céder : toute clause contraire insérée dans un contrat s’avérerait nulle.
En revanche, le CPI ajoute que les droits moraux sont transmissibles aux héritiers à cause de mort. Il indique par ailleurs les règles de dévolution à suivre en cas de succession. De plus, l’article L. 121-1 de ce code dispose que «
l’exercice peut être confié à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ». Il s’agit là du cas de l’exécuteur testamentaire.
En outre, l’auteur ne peut abandonner ses droits moraux. Aucune clause ne peut lui faire renoncer à l’ex ercice de ses droits moraux. De son vivant, seul l’auteur est jugé apte à apprécier les conditions morales qui doivent accompagner la diffusion de sa création. Cela signifie que les droits moraux sont à exclure des biens visés par le régime matrimonial comme de toute répartition consécutive à un divorce.
Bien entendu, les droits moraux de l’auteur ne peuvent lui être saisis.
L’article L. 121-1 du CPI précise ensuite que les droits moraux sont aussi perpétuels. En effet, ils peuvent être exercés après le décès de l’auteur et après l’extinction de la durée des droits patrimoniaux attachés à son œuvre. Ils sont véritablement éternels. Les droits moraux sont imprescriptibles. Ils ne peuvent donc subir le sort d’autres droits qui, par négligence, deviennent la propriété d’autrui après un certain nombre d’années. Ils ne peuvent faire l’objet d’une prescription acquisitive.
Enfin, les droits moraux sont considérés comme quasi discrétionnaires : l’auteur peut les exercer presque librement.
Las, comme on l’aura compris, ils ne portent que sur l’œuvre de l’auteur et non sur la dépouille… Laissons donc de côté le droit moral, et penchons nous sur le droit des restes…
Droit des restes
Le corps du défunt est considéré, en droit, comme une chose. Et, aux termes de l’article 16-1-1 du Code civil, «
le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». La conséquence de cette règle est simple : elle suppose que le propriétaire (le plus souvent la famille) doit respecter les volontés du défunt.
La Cour d’appel de Bordeaux a ainsi jugé, le 14 janvier 2003, qu’il s’agit d’une « copropriété familiale ». Mais se superpose à cela le cas où la volonté du défunt est connue.
Avant d’y venir, il faut toutefois garder à l’esprit deux principes que sont la liberté de conscience et l’égalité des citoyens devant la loi et qui empêchent de laisser un testament disant tout et n’importe quoi.
Sous cette réserve, la Cour d’appel de Lyon a estimé, le 18 novembre 1981, «
qu’il appartient à chacun de fixer librement à l’avance les conditions et le lieu de sa sépulture, la volonté exprimée par le défunt devant, même en l’absence de testament, doit être respectée »
Il existe par ailleurs un article 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles qui dispose que : «
Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture.
- Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l'exécution de ses dispositions.
- Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu'une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation. »
Chacun peut donc décider que ses obsèques auront un caractère civil ou religieux, que son corps sera inhumé ou incinéré, ou qu’il en sera fait don à la science, quel sera le lieu de sa sépulture et, en cas de crémation, le sort de ses cendres.
Pour le cas où le défunt n’aurait rien prévu de précis, la Cour de cassation a jugé, le 27 mai 2009, «
qu’il faut d’abord rechercher par tous moyens les intentions du défunt. À défaut, il convient de désigner la personne la mieux qualifiée pour décider des modalités des funérailles. » Si le défunt a laissé des instructions, elles doivent par conséquent être respectées. Et dans le cas contraire, c’est la famille qui peut décider par interprétation de sa volonté présumée.
Je passe sur le sort des cendres – les deux poètes reposant à l’heure actuelle, pour l’un, dans le très sinistre cimetière parisien des Batignolles et, pour l’autre, dans sa ville des Ardennes où il s’était juré ne jamais revenir. Pour information concise, le régime des cendres dépend d’une loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, qui, transposée à l’article 16-1-1 du Code civil dispose que : «
les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence »...
L'exhumation
Il convient en revanche d’examiner sérieusement le problème juridique de l’exhumation.
Or, il existe un principe de l’immutabilité de la sépulture. Dans le cas où la famille voudrait en finir avec les frais d’une concession et procéder à une crémation, il lui est nécessaire d’obtenir une autorisation délivrée par le maire sur le fondement de l’art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales.
Toute demande d'exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande. L'autorisation d'exhumer un corps est délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu l'exhumation. L'exhumation est faite en présence d'un parent ou d'un mandataire de la famille. Et si le parent ou le mandataire dûment avisé n'est pas présent à l'heure indiquée, l'opération n'a pas lieu…
Alors, quid, enfin de la notion de «
plus proche parent », qui semble déterminante, faute de testament ou d’écrit précis de nos deux poètes sur le sort de leurs os.
Pour déterminer qui est habilité à se prononcer, la jurisprudence ne suit pas l’ordre abstrait de la succession ou de la parenté du défunt, car ce qui compte est, à nouveau, la volonté présumée du mort.
Il appartient donc au juge de déterminer souverainement quels sont parmi les proches du défunt, celui ou ceux que leurs rapports privilégiés d’intimité avec lui permettent de reconnaître comme les interprètes les plus qualifiés de sa volonté probable.
La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt en date du 27 mai 2009, que «
les juges du fond peuvent (…) confier à une autre personne (que la famille) le soin d’organiser les funérailles ».
Dans la réalité, les juges préfèrent le conjoint non divorcé. Si le mort était en instance de divorce ou séparé de fait (voire remarié), ce rôle incombera alors aux autres membres de la famille, aux parents les plus proches ou aux amis du défunt.
Il semble que le sort des corps de Rimbaud et de Verlaine appartient peu ou prou au plus proche parent de chacun, en l’absence de volonté exprimée par les défunts de nomme tel ou tel ami ou disciple. C’est ce même proche parent supposé qui sera en mesure de faire une demande d’exhumation du corps...
En l’occurrence, côté Rimbaud, subsiste une arrière-petite-nièce. Quant à Verlaine, il a été inhumé en 1896 au cimetière des Batignolles à Paris, dans la 20
e division, une section située en dessous du boulverad périphérique... Et c’est en 1989, qu’il a déménagé pour la 11
e division, en première ligne du rond-point central. J’ignore qui sont ses proches parents ou s’il y en a encore ; cependant, l’histoire de sa sépulture, ornée de fleurs en plastique, n’encourage guère tout être sensé à ne pas demander l’incinération.
J’ai souvenir que, en 2002, la famille d’Alexandre Dumas avait réchigné à ce que le corps du grand écrivain quittât le caveau familial de Villers-Côteret. Et puis, avec beaucoup de diplomatie, les unes et les autres avaient fini par accepter, le cercueil ayant été exposé en mairie avant une ultime voyage jusqu’au Panthéon.
C’est heureux pour Dumas, car la ville de son enfance est passée aux mains du Rassemblement national en 2014. Le maire s’est, depuis lors, opposé à toute participation à la commémoration de l’abolition de l’esclavage organisée chaque 10 mai…
Ainsi va la mémoire des écrivains et le destin des lieux où ils ont vécu ont sont enterrés.