Pour ses deux précédents romans, Alabama Song (couronné prix Goncourt en 2007) et Zola Jackson (2010), Gilles Leroy était allé chercher son inspiration du côté du sud des Etats-Unis. Aujourd'hui, il revient à une veine plus personnelle, intimiste, celle de L'amant russe (2002), ou du très beau Champsecret (2005), tous parus au Mercure de France. Même si, à cette histoire de ce que l'auteur présente comme son "dernier amour », symétrique de son tout premier, le Russe Volodia, s'en superposent deux autres : les tribulations d'un prix Goncourt en tournée de promotion internationale, et la fin pitoyable du couple Ceausescu, les dictateurs fous qui asservirent et ruinèrent la Roumanie.
Tout commence à Bucarest, où l'écrivain est invité pour présenter Alabama Song. Apparemment, le lauréat du Goncourt 2007 n'y prend aucun plaisir. D'humeur chagrine, souvent patraque et facilement paniqué, il déteste voyager, ne s'intéresse pas toujours à ce que ses hôtes tentent de lui faire découvrir : parfois même, malheureux et déprimé, il ne quitte sa chambre d'hôtel que pour assurer ses prestations. Il a peur aussi, car "partir fait mourir ceux qu'on laisse ». Sa chienne Zazie, par exemple, qu'il aimait si fort et qui, dit-il, n'a pas supporté leur longue séparation.
Mais, à Bucarest, les choses sont bien différentes : le narrateur rencontre le jeune Marian, 26 ans, libraire le jour et rockeur gothique la nuit. Coup de foudre réciproque. Ils parviennent à passer ensemble quelques jours à la Villa d'or, villégiature délirante aménagée par le Conducator et sa "Reine rouge" pour leurs hôtes de marque. Là, au pied du mont Zoltan, que domine toujours le château de Vlad l'Empaleur, alias Dracula, les deux garçons vivent leur lune de miel et Marian, très patriote, fait aimer son pays à l'ami étranger. Lequel doit hélas repartir, promettant de revenir au plus tôt. Ce qu'il fait, quelques mois après. Mais la situation a changé : le groupe de Marian, Excalibur, est en train de devenir célèbre, et son auteur-compositeur-guitariste très sollicité ; en Roumanie, même aujourd'hui, l'homosexualité n'est pas vraiment acceptée ; enfin, la différence d'âge est telle entre eux que, dans des pages émouvantes, l'écrivain, né sous le signe du Capricorne, décrit sa décrépitude alors que son ami exulte dans toute la gloire de sa jeunesse. La liaison va encore durer un peu, via Internet, puis s'étioler. Se mortifiant, l'aîné y met fin et décrète qu'après Marian, écho lointain de Volodia, il n'y aura plus personne dans sa vie.
Dormir avec ceux qu'on aime - quel beau titre - ne manque pas de charme, même si on aurait aimé que sa construction soit plus serrée afin que l'histoire d'amour y occupe la place centrale. Mais dans le parcours de Gilles Leroy, ce livre marque sans doute un jalon important, "l'amant roumain" bouclant la boucle avec L'amant russe.