6 mars > Roman Argentine

L’Argentine, c’est toujours bien plus que l’Argentine. C’est aussi un point de vue. Et une ligne d’horizon. A l’heure où le Salon du livre s’apprête à rendre hommage à sa littérature, parmi les plus riches de ce temps, il convient de prendre en compte cette dimension liée à l’imaginaire.

Ainsi de Banzaï, premier roman traduit en français de Carlos Bernatek, romancier né à Buenos Aires en 1955, installé à Santa Fe, dont la famille a fui la Tchécoslovaquie durant les années 1920. Le héros de Banzaï est pareillement un homme d’une quarantaine d’années, un type solitaire qui a rompu les amarres le reliant à un passé incertain. Cet homme qui a récupéré l’identité d’un autre, décédé dans un accident, est de toute façon un alias, un imposteur et d’abord à soi-même. On le découvre un soir de réveillon, dans une cité balnéaire déserte, au charme fané, alors qu’il attend vaguement qu’une femme le rejoigne. En fait de femme, ce sont les souvenirs d’une existence un peu floue, comme autant d’éclats de mémoire composant le miroir brisé d’une identité morcelée, qui accourent au rendez-vous. Il y a ce camarade dont le père aimait trop les armes, un petit avion écrasé dans la forêt, une mystérieuse mallette, des messieurs trop tranquilles aux noms à consonance germanique et une Alfa Romeo, qui est le seul bien qui rattache encore le narrateur à son géniteur. Tout un petit monde bouleversé, en clair-obscur, qui, bien entendu, est celui de l’Argentine dans les années 1960.

Bernatek nous le dévoile par pans successifs comme un illusionniste qui sait que ce que croit voir son public est toujours plus grand que ce qu’il montre. Cet exercice de "mentir vrai" est aussi passionnant littérairement qu’éclairant quant à la nature profonde d’un pays et de son destin.

Olivier Mony

Les dernières
actualités