Jean Ristat, avec ce mélange de sincérité et de pause, d’aplomb et d’humour qui le caractérise, signe aujourd’hui le tome II de ses Œuvres posthumes, sachant que, parmi son œuvre, il n’existe pas d’œuvres posthumes tome I, sauf erreur ou omission. Se présenter, de son vivant, "mort en ce siècle lui-même moribond", et dont il n’espère plus guère - lui qui a beaucoup reçu -, si ce n’est, encore, "l’éclair dans les yeux des jeunes hommes", peut paraître une position confortable. Cela permet de tout dire, en particulier sur soi, y compris l’inavouable, le plus intime, dans un hardi dédoublement entre le "je" qui se confie sous forme de prétendues lettres à un destinataire unique "au même" et celui dont on retrace le parcours.
Dans "Les séances", premier volet du livre composé en diptyque, Ristat nous livre certains épisodes de sa "biographie portative". Il évoque l’enfant qu’il a été, fils de bâtarde d’un petit village de Sologne "monté" en banlieue parisienne, élevé par sa grand-mère, et qui découvre, enfant de chœur, la religion et ses rituels, ses mystères, les livres (Don Quichotte, Salammbô), le cinéma, et aussi les premiers émois de la chair, la sienne et celle de ses camarades d’école. Un professeur-poète au rôle ambigu lui servira de premier pygmalion. Avant d’autres, surtout Aragon, dont il est comme le fils spirituel, le gardien de l’œuvre.
La deuxième partie, "Pastorale", portée par une langue d’un classicisme altier, est un blason du corps masculin - ou plutôt des corps que le narrateur a aimés passionnément, un peu partout en Europe, à Berlin, Budapest, Amsterdam, Paris, en Italie. Des aventures décrites parfois crûment, à la manière des libertins du XVIIIe siècle. Célébration de la beauté et de l’amour, donc, même si des ombres passent, amis décimés par le sida, ou mort accidentelle du jeune T., à moto. Dans son "enfer", Jean Ristat ne restera pas seul. Ses lecteurs l’y rejoindront avec ferveur.
Jean-Claude Perrier