Transfuge de chez Léo Scheer où il a commis depuis 2010 trois brefs romans - dont on apprend ici qu'ils avaient été écrits auparavant -, le jeune comte Louis-Henri de La Rochefoucauld, 27 ans, a su séduire Philippe Sollers, directeur de la collection "L'infini" chez Gallimard, par sa morgue aristocratique, son culot, son humour, sa "différence ». "Tu es une chose du passé", lui assène un jour, avant de le plaquer, sa copine, Marianne. Mais il brille surtout par son style, tantôt élégant, tantôt familier, cette fluidité, ce ton de la confidence où le narrateur se plaît à inviter son lecteur, tout roturier soit-il. Et par sa culture. Pour lui, né La Rochefoucauld côté père et Harcourt côté mère, feuilleter son album de famille, c'est revisiter l'histoire de France.
Car Louis-Henri cultive quelques obsessions. Les Juifs, auxquels il compare sa lignée et ses quelques "martyrs" - dont la chouanne antillaise Marie-Adélaïde, morte en 1794, et deux évêques tués à la Révolution. Saint-Simon, qu'il déteste à cause de ce qu'il a écrit sur son aïeul le duc François VII, un balourd "ami du roi" Louis XIV. Proust, dont Aimery de La Rochefoucauld et leur fils Gabriel furent les amis, et dont le nom figure parfois dans la Recherche, cité par Charlus. Et la Révolution française, avec sa guillotine, qu'il abhorre. Au fil de ce vaste et prestigieux "jeu de l'oie » auquel il nous convie, Louis-Henri évoque aussi, bien sûr, le duc François VI, l'auteur des Maximes, qui fut frondeur et embastillé par Richelieu.
Son livre, à peine un roman, se veut surtout un autoportrait décalé, où Louis-Henri se moque de lui-même, du caractère "rogue" de sa lignée, de ce côté "singe savant" qui lui a été imposé, dans sa jeunesse, par un père extrêmement traditionaliste qu'il surnomme plaisamment "le Grand Rabbin", et pour qui il écrit aujourd'hui afin de se faire aimer, de rattraper le temps perdu. Proust, toujours, grâce à qui, sans doute, Louis-Henri est devenu écrivain, toutes proportions gardées.
