Cela fait trois ans que la France a été frappée par les attentats de janvier 2015. Ceux-ci ont eu pour seule vertu de faire prendre conscience aux citoyens français de l’importance de la liberté d’expression.
Le ministère de la Culture et de la Communication, alors dirigé par Fleur Pellerin, a, dans la foulée, présenté le 8 juillet 2015, un projet de loi « relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ».
Le texte en a été voté le 7 juillet 2016. Il contient de multiples dispositions précises que, en particulier, les milieux du patrimoine attendaient.
Las, pour ce qui est de la « liberté de création », le résultat ne pouvait qu’être déceptif.
Et ce malgré le dossier de presse incantatoire qui accompagnait le projet. Un éditorial signé par la ministre y assénait qu'«
il ne s’agit donc pas seulement de réaffirmer la liberté de création : il s’agit de la rendre possible. De renforcer sa protection et les moyens de sa transmission.
Rendre la liberté de création possible, c’est d’abord apporter des réponses et être au fond fidèle à une méthode : j’ai donc voulu une loi qui change les choses de manière concrète, et qui permettra la mise en œuvre de mon projet politique. »
C’est ainsi que l’article premier de la loi affirme que
« la création artistique est libre ». Ce qui ne mange pas de pain.
Le deuxième article a modifié le texte de l’article L. 431-1 du Code pénal. Celui-ci disposait déjà que «
le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation ou d'entraver le déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.
Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l'exercice d'une des libertés visées aux alinéas précédents est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. »
La loi du 7 juillet 2016 y ajoute un alinéa, indiquant que «
Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.»
La jurisprudence était déjà très maigre sur la version antérieure ce l’article 431-1 du Code pénal, qui ne visait donc pas expressément la liberté de création. Quant à celle sur l’entrave à la liberté de création, elle est inexistante depuis l’entrée en vigueur du nouvel alinéa.
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
Cela est logique dans la mesure où la liberté de création est déjà contenue implicitement dans les principes afférents à la liberté d’expression.
Selon l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, «
la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par lui ».
Or, la Déclaration de 1789 est toujours en vigueur en droit français, car elle est visée dans le préambule de la Constitution de la IVème République, lui-même visé par le préambule de celle de la Vème République : «
Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. »
La liberté d’expression, de pensée et d’opinion est de plus officiellement assurée par la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (1948) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966). Mais elle repose essentiellement aujourd’hui sur deux textes majeurs : notre chère Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, datant de 1950 (ratifiée par la France en 1974 seulement) ) - ces deux textes sont à lire avec attention, car ils comportent des bémols ayant permis le vote de nombreuses lois de censure portant sur la vie privée, la présomption d’innocence ou encore la récente apologie du terrorisme.
La loi de 2016 n’ajoute par conséquent rien à tous ces textes qui sont de valeur supérieure en droit. Sauf à porter crédit au fait de réinventer la roue.
L’absence de décisions de justice ne permet par ailleurs pas de lever les ambiguïtés du nouveau texte. Se pose en effet la question de savoir si, au-delà des artistes, le public éventuel d’une oeuvre ou d’un spectacle, qui en aurait été privé, - après avoir, par exemple, acheté un ticket d’entrée - aurait pu agir en justice.
Le texte de 2016 a donc une portée plus symbolique qu’effective.
C’est sans doute pour cela qu’il fallait lire de façon indulgente les arguments en forme de
Fake News, que le ministère de la Culture avançait en juillet 2015 : «
l’Espagne, l’Angleterre, l’Autriche reconnaissent par la loi la liberté des artistes et des créateurs. Pas la France. Avec la loi, la nation consacrera la liberté de création au même titre que la liberté d’expression, la liberté de la presse ou la liberté de l’enseignement. C’est une fierté et une nécessité dans la France de l’après-Charlie.
Ajoutons enfin, pour balayer toute illusion sur la loi du 7 juillet 2016, que son article 2-1 précise que « la diffusion de la création artistique est libre. Elle s'exerce dans le respect des principes encadrant la liberté d'expression et conformément à la première partie du code de la propriété intellectuelle. »
Ce qui revient à dire que le délit d’entrave ne s’applique que dans la mesure où la création menacée est conçue dans le respect de la stricte légalité, donc sans porter atteinte ni au droit d‘auteur ni au respect de la vie privée, ni aux règles sur les messages à caractère pornographique, ni… etc.