Pour William Cliff, et ce depuis ses débuts en littérature encouragés par Queneau, la poésie doit dire l’intime. Quitte à heurter quelques tartuffes. L’âge venant - Cliff est né à Gembloux, Belgique, en 1940, et nombre de ses textes font référence à son pays -, il est tentant d’égrener les souvenirs, surtout s’ils sont plutôt agréables. Dans ce recueil, le poète a choisi de célébrer les corps des garçons qu’il a croisés, rencontrés, aimés ou non, au fil de ses voyages. Certains poèmes sont des "tricks", comme disait Jean-Luc Hennig, des "coups", racontés de façon parfois explicite, dans des ambiances glauques, où la pénombre permettait toutes les audaces. Et où sévissait encore en ce temps-là la ségrégation entre les Blancs et les Noirs - sauf sexuelle. Tantôt ils sont magnifiés de façon lyrique, précieuse, qui n’est pas sans rappeler le maniérisme élisabéthain. Cliff joue de tous les registres, de toutes les réminiscences, Shakespeare, Baudelaire, Breughel, torturant le vers à qui il impose de rimer à tout prix, même d’acrobaties, d’inversions et d’enjambements, voire de vers de mirliton. L’hendécasyllabe ne se dompte pas aisément.
Par-delà les voyages, les évocations de corps, les émotions d’alors, la tonalité générale est ici à la mélancolie, au regret des occasions manquées. Tempus fugit, comme chacun sait, et surtout les poètes. Amour perdu s’achève, et ce n’est pas hasard mais effet de composition, sur "Solitude", ballade aux accents tout verlainiens : "Alors, tant pis, mon âme, prends la route/de ce désert béant que tu redoutes,/bois ce calice avec tranquillité…"Jean-Claude Perrier