La rumeur circulait depuis plusieurs semaines : la plateforme de webtoon Piccoma fermera d'ici l'automne 2024 son bureau en France. Sa maison mère, le sud-coréen Kakao, leader mondial du webtoon, a officialisé l’annonce dans la presse en Corée du Sud, il y a une dizaine de jours. Arrivée en 2022, l’application de bandes dessinées numériques s'est rapidement imposée dans le secteur avec des investissements financiers importants, autour d'une dizaine de millions d'euros, et l’acquisition de grosses licences. À peine deux ans plus tard, l’aventure s’arrête donc pour Piccoma. Mais qu’en est-il des autres plateformes dans l’Hexagone ?
L’autre géant du secteur, Webtoon, propriété du sud-coréen Naver, reste optimiste sur l’avenir. « Les signaux du marché restent très positifs, il y a encore beaucoup d’opportunités en France ! » affirme à Livres Hebdo sa directrice Émilie Coudrat. La plateforme assure avoir une base de lecteurs en constante augmentation depuis son installation, fin 2019. Elle mise sur la création française, comme la récente série Kestrel créée par Charlotte Wolf. Périodiquement, des concours sont organisés pour dénicher les nouveaux auteurs français, comme le 1er juillet avec un concours annuel.
D’autres interfaces françaises avec des stratégies éditoriales différentes se sont développées, à l'instar d'Ono (Média Participations) ou Allskreen (Ankama). Certaines n'ont pas réussi à s'imposer : lancée début 2021 par le groupe Delcourt, la plateforme Verytoon a par exemple cessé son activité en juillet 2023.
Rachetée en 2023, Allskreen a démarré avec l’adaptation en webtoon des incontournables de la maison, comme Wakfu et Dofus, avant de créer des nouvelles marques. Format vertical, sens de lecture, taille et positionnement des bulles, des cases… Une équipe de trois à six personnes travaillent en interne pour adapter les séries de l’éditeur. « Nous ne pouvons pas nous permettre de redessiner tout l’album, alors nous reprenons les codes narratifs du genre », explique le responsable éditorial Hervé Créac’h. Pour aller plus loin, il souhaite développer dès 2025 un webtoon issu de l’univers de Dofus, dans lequel les épisodes d’une histoire sont construits avec le vote du public.
Monnaie virtuelle, abonnement…
Au-delà des différences éditoriales, les plateformes se distinguent par leur modèle économique. L’application Allskreen propose différents packs d’épisodes à l’achat avec une valeur fixe. Le premier composé de 11 épisodes coûte près de cinq euros. D'autres font le choix des monnaies virtuelles. À son installation en France, Piccoma était visé par le Médiateur du livre en raison de son modèle basé sur l’achat de jetons virtuels. Depuis 2011, la loi s'est adaptée pour appliquer un prix unique aux livres numériques, identiques à leur version papier. Sur Piccoma, les 100 coins valent environ un euro. Mais selon Hervé Créac’h, « le problème avec la monnaie virtuelle est que nous ne savons pas quelle est sa valeur réelle et la rétribution des auteurs. »
Le système des coins est également proposé par Webtoon : les premiers chapitres d’une série sont disponibles à la lecture gratuitement, puis la suite des épisodes sont payants. Le lecteur a toutefois la possibilité de patienter une journée ou plus pour lire la suite de la série. Émilie Coudrat précise : « Une majorité de notre base lit gratuitement, mais notre modèle ne repose pas seulement sur les “Fast pass” (épisode payant), nous nous appuyons sur la publicité proposée à la fin des épisodes et sur tous les dérivés comme les séries TV, les jeux vidéos, les livres… »
De son côté, la plateforme Mangas.io défend son abonnement mensuel de 6,90 euros qui offre un accès illimité aux séries. Pour l’instant, elle propose peu de webtoons. « Nous aimons beaucoup ce format, mais nous voulons rester prudents face à cette bulle du webtoon et l’inflation du prix des licences », détaille Yun J. Inada, chef de cabinet et directeur des contenus. L’interface a pour l’instant en ligne de mire le piratage. Dans ce secteur, « les Français ne sont pas habitués à un modèle économique qui permet d’être dans le légal, comme ce que Netflix ou Spotify ont réussi à faire dans leurs domaines respectifs », explique le responsable. La plateforme qui a célébré ses quatre ans cette semaine, propose un catalogue d’environ 300 séries, alimenté par 23 éditeurs partenaires.