Sur le champ de bataille de Waterloo, un homme prend la mesure du désastre. Il est écossais, professeur d’anatomie et chirurgien. Dans les lettres qu’il envoie à sa famille, Charles Bell célèbre l’héroïsme des soldats français qu’il décide de soigner. Il décrit leurs terribles blessures et dessine ces corps déchiquetés, ravagés par la douleur et détruits par la guerre. C’est à cet homme bien connu des historiens du premier Empire que Martine Devillers-Argouarc’h consacre une belle biographie qui prend quelquefois des airs de roman. Elle raconte ses nuits d’insomnie à l’hôtel d’Angleterre, dans un Bruxelles crépusculaire transformé en hôpital géant, et ses journées rythmées par le bruit de la scie d’amputation : il en pratiquera trois cent quatre-vingts en dix jours ! Charles Bell a fini par avoir l’âge de ses nuits blanches. Il n’est pas le seul. Martine Devillers-Argouarc’h rend aussi hommage aux autres médecins de Waterloo comme John Hennen, qui pour tenir moralement opérait en fumant le cigare, ou le baron Larrey, le chirurgien de la Grande Armée que Wellington gratifiera sur le champ de bataille d’un "je salue l’honneur qui passe". Mais dans ce récit entrecoupé de lettres déchirantes, on croise surtout des soldats en charpie qui croient encore à leur empereur. De retour en Angleterre, Charles Bell ne sera plus le même, bouleversé par ces hommes qu’il a tenté de soulager.
Derrière la commémoration du 18 juin 1815, Martine Devillers-Argouarc’h montre la réalité de la guerre avec son poids de cruauté et de sang, les traumatismes et ces moments de grâce lorsqu’un médecin ou une infirmière viennent apaiser l’insoutenable lourdeur de l’être quand il souffre. L. L.