Il y a dans l’ « affaire Mitterrand » un point sur lequel je voudrais revenir ici, parce qu’il ne me semble pas avoir été suffisamment souligné. Au cours de l’entretien accordé par Frédéric Mitterrand à Laurence Ferrari sur TF1, il lui a demandé si elle avait lu La mauvaise vie , et elle a répondu : non. Je pense que Mme Ferrari aurait normalement dû recevoir dans les 24 heures, par lettre recommandée avec AR, un blâme pour faute professionnelle. Voilà quelqu’un qui s’intitule journaliste, et qui est peut-être même la journaliste la mieux payée de France. Elle invite (le mot est faible…) un homme à venir s’expliquer sur des accusations extrêmement graves, basées précisément sur ce que cet homme a écrit lui-même, et publié de son plein gré, voilà cinq ans. Et la journaliste d’annoncer froidement qu’elle ne l’a pas lu. Si elle n’avait pas le temps de lire La Mauvaise vie , elle devait confier l’interview à quelqu’un qui aurait pris le temps de le lire. Car un livre est un tout. Et les propos de M. Mitterrand, quoi qu’on en pense par ailleurs, ne peuvent se comprendre et s’évaluer qu’à la lumière de tout le livre. Ce refus de lire in extenso, c’est le mépris du livre.  C’est une illustration particulière de ce qu’est la réaction instinctive de l’univers télévisuel devant les œuvres écrites : le rejet. L’exigence télévisuelle, c’est l’instantané contre le temps, l’univocité du message contre l’épaisseur et l’ambiguïté, exigence exacerbée ici, bien sûr, par l’attrait du sensationnel. Mais cette réduction en dissimule en l’occurrence une autre, d’autant plus pernicieuse qu’elle est implicite, consistant à considérer un récit comme un aveu, un ouvrage littéraire comme une pièce à conviction. Et non seulement on fait subir au texte ce changement de statut aussi arbitraire qu’abusif, mais de plus, alors même qu’on s’en autorise pour accuser, on ne le lit pas ! Il y avait naguère (dans Charlie Hebdo , je crois) une chronique intitulée : Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu, mais j’en cause quand même. C’était du second degré. Nous voici arrivés au premier degré. *** Nouvelle maquette égale : moins de texte. Cela semble être devenu la règle de la presse. Cet été, Le Monde proposait une série reproduisant d’anciennes « Unes » du journal, datant de vingt, trente ans ou davantage, accompagnées d’un commentaire sur les événements de l’époque et la manière dont le journal les avait envisagés. Le seul point qui n’a pas été commenté, et qui pourtant crevait les yeux, était celui-ci : entre les « Unes » d’il y a vingt ans et celles d’aujourd’hui, à peu près 30% de texte en moins. Je n’incrimine pas Le Monde . Tous les autres font pareil. Les managers qui gouvernent la presse ont pris comme postulat que le texte ennuie le client. Quand on vend précisément de l’écrit, est-ce un postulat très intelligent ? Aussi intelligent que celui d’un boulanger qui raccourcirait les baguettes en disant : Oh, vous savez, les gens n’aiment plus le pain. *** L’étude du Motif sur le piratage des livres via l’internet apporte des résultats hilarants. Se mettre en infraction pour lire du Nothomb ! Le sens de la transgression se perd, dirait-on.
15.10 2013

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