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Le payement en cidre (I/II)

Le payement en cidre (I/II)

La rémunération forfaitaire, dans les contrats d'édition, est à manier avec précaution.

Le 22 janvier 2019, la Cour d’appel de Rennes a rendu une décision critiquée et critiquable sur de nombreux points, mais qui permet de rappeler qu’une cession de droits sur une œuvre protégée n’est pas toujours rétribuée par une somme d’argent.
      
Dans cette affaire bretonne, une personne morale avait ainsi négocié avec un artiste, dont elle avait reproduit le tableau, la remise de quelques bouteilles de cidre. Une fois celles-ci bues, les rapports s’étaient tendus et le peintre avait attaqué, clamant la nullité de cet accord.
      
Les magistrats lui donnent tort et entérinent la cession de ses droits au profit de l’entreprise qui, le lecteur l’aura peu ou prou deviné, est un groupement agricole d’exploitation en commun.      

Aux yeux des juristes, la rémunération de cession des droits de l’auteur reste un point sensible, en particulier pour ce qui concerne le contrat d’édition. Il a en effet déjà été jugé, par le Tribunal de grande instance de Paris, le 25 février 1988, que le défaut de rémunération peut entraîner la nullité de la cession. De plus, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt en date du 24 janvier 1978, que la cession d’un écrit même non protégé par le droit d’auteur en raison de son manque d’originalité devait entraîner un versement d’honoraires à défaut de droits d’auteur proprement dits. Il a même déjà été affirmé, par la Cour d’appel de Paris, le 20 mai 1981, que l’éditeur doit continuer à verser les avances promises à son auteur, quand bien même les deux seraient en procès.
      
Commençons par souligner que la proportionnalité, c’est-à-dire le fait d’être payé au pourcentage et non au forfait, demeure le principe dominant de la rémunération des auteurs. L’article 132-5 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) énonce :
« Le contrat peut prévoir soit une rémunération proportionnelle aux produits d’exploitation, soit, dans les cas prévus aux articles L. 131-4 et L. 132-6, une rémunération forfaitaire. »
L’article L. 131-4, qui concerne plusieurs types de contrats, dont le contrat d’édition, dispose :
« La cession par l’auteur de ses droits sur une œuvre (…) doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation.
« Toutefois la rémunération de l’auteur peut être évaluée forfaitairement dans les cas suivants:
« 1° La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée;
« 2° Les moyens de contrôler l’application de la participation font défaut;
« 3° Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre;
« 4° La nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l’œuvre, soit que l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité ».
Il en est encore notamment ainsi « dans les autres cas prévus au présent code
».

D’une rédaction sinon obscure du moins maladroite, cet article commence par poser le principe de la rémunération proportionnelle aux recettes de la vente, qui désigne ici le droit de reproduction, et de l’exploitation, qui vise le droit de représentation. L’auteur aura donc vocation à recueillir un pourcentage sur chacun des modes d’exploitation de son œuvre. L’éditeur doit garder en mémoire que l’ensemble du contrat sera déclaré nul en l’absence d’une rémunération proportionnelle.

Ce principe d’une rémunération proportionnelle, introduit par la loi de 1957 dont le CPI est l’héritier, n’est pas rétroactif. Il n’affecte pas les contrats conclus avant le 11 mars 1958 (date d’entrée en vigueur de la loi). L’auteur qui, avant cette date, a conclu sur la base d’une rémunération forfaitaire ne peut donc prétendre aujourd’hui recevoir un pourcentage sur les ventes ou autres exploitations de son livre.

Quant aux cas de possible rémunération forfaitaire énumérés par l’article 131-4, seul le 4° intéresse directement les éditeurs. En effet, par « base de calcul » indéterminable (1°), il faut entendre les situations où l’on ne peut mesurer l’audience de l’œuvre. Cela ne concerne a priori pas l’édition. Il en va de même pour le « défaut de moyens de contrôler l’application de la participation » (2°), dont l’exemple classique demeurait le juke-box. Le coût trop onéreux des « opérations de calcul » (3°) n’intéresse pas non plus les éditeurs. En revanche, l’impossibilité d’application de la règle en raison de la « nature » ou des « conditions de l’exploitation » (4°) répond bien à des situations communément rencontrées par les éditeurs. Il s’agit là des œuvres collectives, des préfaces ou encore des articles d’une revue.

L’article L. 132-6 concerne uniquement le contrat d’édition :
« En ce qui concerne l’édition de librairie, la rémunération de l’auteur peut faire l’objet d’une rémunération forfaitaire pour la première édition, avec l’accord formellement exprimé de l’auteur, dans les cas suivants : 
« 1° Ouvrages scientifiques ou techniques ;
« 2° Anthologies et encyclopédies ;
« 3° Préfaces, annotations, introductions, présentations ;
« 4° Illustrations d’un ouvrage ;
« 5° Éditions de luxe à tirage limité ;
« 6° Livres de prières ;
« 7° À la demande du traducteur pour les traductions ;
« 8° Éditions populaires à bon marché ;
« 9° Albums bon marché pour enfants.
« Peuvent également faire l’objet d’une rémunération forfaitaire les cessions de droits à ou par une personne ou une entreprise établie à l’étranger ».
« En ce qui concerne les œuvres de l’esprit publiées dans les journaux et recueils périodiques de tout ordre et par les agences de presse, la rémunération de l’auteur, lié à l’entreprise d’information par un contrat de louage d’ouvrage ou de services, peut également être fixée forfaitairement.
»

On le constate aisément : le manque de précisions de cet article laisse aux juridictions une importante marge d’interprétation. Ainsi, la définition du terme « bon marché », mentionné deux fois dans cet article du CPI, ne semble pas aisée à estimer. Il reste toujours plus facile de concevoir sans coup férir une rémunération au forfait dans des cas tels que celui d’une encyclopédie– la Cour d’appel de Paris s’est penchée sur cette situation, le 10 juillet 1974 -, si tant est qu’elle n’ait pas été rédigée par un seul auteur… Même l’auteur d’une œuvre préexistante intégrée dans une œuvre collective peut avoir vocation à percevoir une rémunération proportionnelle, comme l’avait précisé la Cour d’appel de Paris, le 10 mars 1970
Il est surtout à noter que ces possibilités de rémunérer l’auteur au forfait ne valent que pour la première édition.

L’article L. 131-4 in fine prévoit par surcroît la possibilité de convertir une rémunération proportionnelle en rémunération forfaitaire et ce, pour tous les contrats : « Est également licite la conversion entre les parties, à la demande de l’auteur, des droits provenant des contrats en vigueur en annuités forfaitaires pour des durées à déterminer entre les parties. »
Cette conversion forfaitaire ne concerne que des contrats déjà en vigueur. Elle ne peut donc intervenir qu’après un temps suffisant pour que l’auteur puisse juger de l’importance de ses revenus. Il sera alors à même d’accepter ou non un tel changement dans sa rémunération. Il faut enfin remarquer que cette conversion ne peut être permanente, sa durée d’application devant être « déterminée ».

Quelle que soit la raison d’une rémunération forfaitaire, une action en révision de la somme versée est toujours possible. L’article L. 131-5 du CPI dispose en effet : « En cas de cession du droit d’exploitation, lorsque l’auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l’œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat.
« Cette demande ne pourra être formée que dans le cas où l’œuvre aura été cédée moyennant une rémunération forfaitaire.
« La lésion sera appréciée en considération de l’ensemble de l’exploitation par le cessionnaire des œuvres de l’auteur qui se prétend lésé.
»

La lésion et l’imprévision, notions classiques du droit français, sont applicables au contrat d’édition. Il faut pour cela que l’auteur démontre qu’il a été lésé d’au moins sept douzièmes (c’est là le chiffre traditionnellement retenu par le Code civil) de la rémunération qu’il aurait pu légitimement attendre. Les usages de la profession font bien entendu référence en la matière. Il peut également revendiquer a posteriori une autre rémunération si les ventes ont été bien supérieures à ce qui était originellement envisagé (cas de l’imprévision), ainsi que la Cour d’appel de Versailles l’a estimé, le 9 juin 1986.

La jurisprudence considère que cette disposition, qui réduit considérablement pour l’éditeur les avantages de la rémunération forfaitaire, concerne tous les types de forfaits. Elle est applicable aussi bien à un contrat qui prévoit une somme déterminée, pour tout ouvrage vendu, sans référence au prix de vente, qu’à celui qui mentionne une somme globale à verser.

Il semble par ailleurs possible de prévoir le versement de droits seulement à partir d’un certain seuil à atteindre - tel que cela a été jugé par la Cour d’appel de Paris, le 6 décembre 1969 et, plus récemment, le 19 juin 1991 - sauf si celui-ci est illusoire (par exemple, au-delà du premier tirage) ou très hypothétique. Quant au pourcentage lui-même, il ne doit pas être ridicule, les juges pouvant y déceler une fraude à la loi (le Tribunal de grande instance de Paris a déjà fustigé cette pratique, dès le 16 mai 1969).

Il faut toutefois relever que les actions portant sur le fondement de la proportionnalité des redevances de l’auteur sont dites de nullité relative : la prescription est donc de cinq années, ainsi qu’il a été jugé par la Cour de cassation, le 11 février 1997, dans un célèbre litige ayant opposé Françoise Sagan aux éditions Flammarion.

En outre, il est assez fréquent de prévoir dans le contrat d’édition une indemnité forfaitaire au bénéfice de l’auteur en cas de résiliation aux torts de l’éditeur. Cette pratique évite de subir les aléas de juges parfois peu au fait de la faiblesse des sommes en jeu dans l’édition et qui peuvent avoir tendance à condamner lourdement l’éditeur. Cette indemnité forfaitaire peut aisément consister en la somme versée à titre d’à-valoir.
 
(à suivre)
 

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