Ce n’est ni une biographie, ni un essai. Plutôt une enquête sur un père assassiné. Cette recherche, c’est le fils qui l’entreprend, avec quelques photos et beaucoup de ténacité. Il n’est pas du sérail philosophique. Ancien illustrateur chez Gallimard Jeunesse, aujourd’hui peintre et sculpteur dans le Morbihan, Michel Politzer a tenté de saisir l’insaisissable d’une vie, ce misérable tas de secrets dont la postérité fait des avenues ou des impasses.
Dans le cas de Georges Politzer (1903-1942), ce fut l’oubli. Dans sa grande entreprise de démolition - reconstruction de la philosophie occidentale, Michel Onfray a sorti l’homme et son œuvre du silence, d’abord dans ses cours à l’université populaire de Caen, puis dans le volume 9 de sa Contre-histoire de la philosophie (Les consciences réfractaires, Grasset, 2013). Politzer permet à Onfray de taper un peu sur Freud et sur Sartre. Une pensée contondante donc… Michel Politzer veut simplement comprendre son père, communiste radical, intellectuel féroce et philosophe subtil, qualifié de « Pascal du matérialisme » par Jean-François Revel : « Si l’essai de langue française entre les deux guerres approcha parfois de l’œuvre d’art, ce fut particulièrement grâce à ce Hongrois, venu à Paris à l’âge de 18 ans. »
Il reprend donc les fils de la vie de ce grand roux turbulent : la Hongrie natale, la France des années 1920 avec ses avant-gardes et ses arrière-pensées, l’agrégation de philosophie, Paul Nizan, le Parti communiste français, le pacte germano-soviétique, la Résistance et le mont Valérien où il est fusillé par les nazis à 39 ans.
Et puis il y a Maï - Marie Mathilde -, sa seconde femme, la mère de Michel, jeune Basque catholique et fougueuse. Elle suivra son mari dans la Résistance en étant amoureuse de Jacques Decour et ne reviendra pas d’Auschwitz.
Michel Politzer, né en 1933, est resté dans la mesure. Il ne fait pas de ces vrais héros des héros de légende. Juste des jeunes gens qui voulaient changer le monde après la Grande Guerre. D’où ce combat excessif contre le pauvre Bergson, dont on prend la mesure grâce à la réédition des textes de Georges Politzer présentée par Roger Bruyeron (Flammarion). Mais on voit aussi la justesse de ses analyses sur Husserl ou Heidegger. Dans sa volonté d’élaborer une psychologie concrète, Politzer envisageait l’existence humaine comme un « drame ». Il ne savait pas que c’était le sien qui se jouait.
« Je me suis construit une mémoire avec celle des autres à défaut d’avoir retrouvé la mienne », écrit joliment le fils. De son père, de Gaulle dira qu’il avait sauvé « la dignité de l’esprit ». Ses derniers mots pour ses bourreaux furent: « Je vous fusille tous ! » Et Michel aujourd’hui d’expliquer son besoin de découvrir et de faire vivre ses parents. Voilà pourquoi il mériterait bien un prix, ce Politzer-là. Celui de l’intelligence du cœur et de la reconnaissance.
Laurent Lemire