Pierre Michon est un écrivain. Il faudrait ajouter pour ceux qui s’étonnent à sa lecture de l’admiration qu’il suscite que ce n’est pas un « écrivain facile ». Comme Faulkner, Joyce, Cormac McCarthy, sa prose peut être lumineuse mais son cheminement est parfois mystérieux. Avec Le roi vient quand il veut , on le comprend mieux. Il nous offre là, près d’un quart de siècle après la publication de son premier livre ( Vies minuscules ), une belle préface à une grande œuvre. « D’abord contemporain ». Du chapitre 1 au chapitre 6, Pierre Michon va commencer à expliquer ce qu’est pour lui la littérature aujourd’hui. D’entrée, lui qui s’intéresse aux vies minuscules, à la Bible, à Watteau, à Van Gogh, avoue sa longue fascination… de l’avant-garde. « Elle nous disait que la littérature est perpétuelle rupture ; que son objet est impossible ; que le bond hors du consensus est une condition essentielle. » Pas de livres si l’auteur « n’y a été contraint » comme disait Bataille. En parlant de livres, Michon fait tout de suite cette distinction souvent confuse dans la critique entre les livres-produits et la littérature. Il rejette le « retour au récit » annoncé telle une restauration. D’avant-garde, sans céder au souci sectaire, mais « contemporain ». « L’écrivain est d’abord contemporain d’un état du monde qui l’écrase, d’un état des lettres au service de ce monde. » L’italique irait mieux à « ce monde » auquel n’appartient pas Michon, comme le Christ affirmait ne pas être de « ce monde ». Halte là les marchands et les pharisiens ! Et pourtant Michon-le-contemporain a publié à 40 ans son premier livre, les Vies minuscules qui parlait de ceux de son village, de son enfance, avant d’évoquer le facteur Roulin, communard, proche de Van Gogh, le curé Carreau face à Watteau le débauché, Rimbaud ou d’autres paysans avec La grande beaune . Le lambeau de pourpre. Michon se veut un « contemporain de légende », titre de son deuxième chapitre. Il évoque Les vies des douze Césars ou, plus tard, les Vies de saints , comme part de son inspiration, ce goût à raconter des vies ordinaires d’où s’exhale des ou un dieu. Voilà pourquoi il choisit de dire où la littérature occupe la place laissée vacante par Dieu. On comprend mieux l’exigence qui l’anime. A l’exception des Vies minuscules , des petits livres, courts. Toujours. « Le récit bref, qu’on peut préparer pendant des mois, doit être saisi d’un seul tenant, dans l’ivresse et la fièvre, peut-être la grâce, sans retour ni repentir, sur la corde raide (…) La moindre fausse note précipite l’ensemble au panier. Le bref ne se rattrape pas . » Il ajoute magnifiquement dans le troisième chapitre: « J’ai un goût (dangereux, à contrarier sans cesse) pour ce que les Anglais appellent le purple patch, le beau morceau d’écriture, le lambeau de pourpre. » Pourquoi cette fascination pour le minuscule, le pauvre ? « La figure chrétienne du pauvre a disparu depuis belle lurette ; celle du prolétaire s’abîme sous nos yeux. Une telle figure est nécessaire à la communauté – elle ne me semble subsister plus que dans la littérature (…) Avec le héros, le pauvre est la figure qui mérite le plus qu’on lui consacre une vie. » Plus loin au pauvre, au prolétaire, au paysan (il cite l’admirable Louons maintenant des grands hommes de James Agee sur les fermiers misérables de l’Alabama) Michon ajoutera Charlot. Voilà vous trouverez chez Michon des vies auxquelles vous identifier, avec lesquelles compatir. Son « devoir d’écriture », dès lors : « Rendre justice à des petits bonhommes, leur donner une autre chance –posthume- d’en faire, l’espace d’un texte, de grands hommes. » Vous en connaissez beaucoup des écrivains qui disent, et pire, pensent cela aujourd’hui ? Au chapitre 6, se trouve l’origine du titre de ses « propos sur la littérature ». Grand regardeur de peinture (si l’on ose l’expression), Pierre Michon raconte les portraits qui composent Le comte de Floridablanca de Goya. Il y a bien sûr, dans ce tableau, le Comte, un sous-fifre, des portraits au mur dont celui du roi, il y a aussi l’autoportrait du peintre. Répondant à l’intervieweur, l’écrivain explique : « Dans ce que tu appelles mes portraits, je suis le sujet du portrait, le comte, c’est à dire dans mes textes le personnage de Watteau par exemple, ou Van Gogh ; je suis celui qui peint, et aussi celui qui raconte, le témoin, l’humble narrateur, le curé Carreau ou le facteur Roulin ; et je suis enfin une troisième voix qui apparaît ça et là dans mes textes, qui est, sans doute, l’écrivain, le gratte-papier qui est mangé dans l’ombre, tout au fond du tableau. J’aimerais bien qu’il y ait en plus le roi, c’est-à-dire la littérature, ou le sens, ou le vrai, ou peut-être tout simplement le lecteur. Mais le roi vient quand il veut. »
15.10 2013

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