Les Parisiens connaissent le nom de la rue, mais plus le personnage qu’elle honore. Lacépède fut un savant, pas très grand, mais très oublié. Chateaubriand avait exécuté cet « historien des reptiles » dans ses Mémoires d’outre-tombe, et le Dictionnaire des girouettes (1815) lui consacra une notice peu amène.
Alors pourquoi consacrer un livre à Bernard-Germain-Etienne de La Ville-sur-Illon, comte de Lacépède (1756-1825) ? Pour sortir de l’ombre un personnage qui ne méritait pas tant de ténèbres. Grand chancelier de la Légion d’honneur, ministre d’Etat en 1804, pair de France, l’auteur de l’Histoire naturelle des poissons savait nager dans les eaux politiques. Ce franc-maçon était un modéré en tout, un centriste radical qui ferait passer le Modem ou l’UDI pour des repaires d’anarchistes. Mais il ne fut pas que cela.
Bernard Quilliet est allé à la recherche de cet homme, qui fut illustre et dont on sait peu de choses. La biographie qu’il en tire, conventionnelle dans sa forme et avec moult citations, a le mérite de nous en dire un peu plus sur celui qui fut « le plus historien des naturalistes et le plus naturaliste des historiens ». Napoléon le couvrit d’honneur pour qu’il rallie à lui les savants de son temps. Pour cela, il lui fallait un homme brillant, mais surtout tranquille. Bernard Quilliet est venu à Lacépède par la musique, comme Lacépède est devenu naturaliste par la musique. C’est la culture musicale qui lui ouvrit les voies de la science. Il commença donc par étudier la musique avec Gluck pour finir par les reptiles et les poissons au Muséum. Pour le reste, il fut un peu de tout. Physicien, chimiste, minéralogiste, géologue, paléontologue, zoologue, géographe, et même littérateur plutôt qu’écrivain. Difficile en effet de nous convaincre de relire une mièvrerie comme Ellival et Caroline… Couvert de gloire, Lacépède meurt de la variole après avoir serré la main du docteur Duméril, qui avait ce soir-là négligé de se désinfecter après avoir soigné des malades.
Professeur émérite à l’université de Paris-8, Bernard Quilliet est l’auteur de nombreux ouvrages historiques, essentiellement publiés chez Fayard : Louis XII (1986), Le paysage retrouvé (1991), Guillaume le Taciturne (1994), La France du beau XVIe siècle (1998), La tradition humaniste (2002), et une biographie de Christine de Suède (2003). Il emploie tout son talent pour redonner sa place à celui qui ne fut certes ni Buffon ni Lavoisier, mais un homme dispersé dans une forme d’universalité, incarnant à sa façon la suite du rêve encyclopédique. Ni découvreur, ni créateur, Lacépède illustre le désir de connaissance d’une époque de conquête où la bataille passait aussi par celle du savoir. A ce titre, ce notable inconnu méritait bien cette première grande biographie.
L. L.