Hitler et Himmler avaient programmé l'extermination des Juifs d'Europe. Mais ils avaient gardé le secret de leur complot jusqu'en 1943, même à l'égard des autres dignitaires nazis. C'est la conclusion de cette enquête stupéfiante ! Florent Brayard n'est pas un inconnu. Spécialiste de l'histoire de la politique de persécution et d'extermination des Juifs, il travaille depuis des années sur ces sujets au Centre de recherches historiques (CNRS-EHESS). A force de lecture, de documents consultés, il s'est demandé si l'on regardait bien cette histoire, si nous n'avions pas un peu trop vite reconstruit cette abomination en pensant que la hiérarchie du IIIe Reich était informée du vrai programme.
Pour appuyer son raisonnement, Florent Brayard se sert du journal de Joseph Goebbels qui fut édité en partie par lui chez Tallandier. C'est un document imposant de plus de 4 000 pages, pas franchement agréable à lire, mais une mine pour l'historien. A partir de ces éléments, il détecte les anomalies, les soumet à d'autres cribles et poursuit son enquête pour finir par reconsidérer le "secret d'Auschwitz". Habituellement, on admet que le principe de la "solution finale" fut adopté par les nazis lors de la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942. Pour Florent Brayard, cette réunion n'a pas permis de tout codifier. "Il convient, je crois, de retarder de quelques mois par rapport au récit traditionnel le basculement définitif dans le meurtre indiscriminé et sans délai." Pour lui, Goebbels ne prend conscience que la déportation est synonyme de meurtre immédiat et indiscriminé, y compris pour les Juifs allemands, qu'en octobre 1943, lors d'un discours d'Himmler qui s'achève sur ces mots : "Vous êtes désormais au courant et vous le garderez pour vous."
Pour Florent Brayard, Himmler puis Hitler révèlent leur secret parce qu'ils n'ont plus de raison de le garder. L'extermination touche à sa fin. La démonstration semble imparable. Et l'on reste stupéfait par la façon dont la révélation de cet assassinat global comprenant les Juifs allemands fut acceptée.
L'historien rappelle aussi les premiers massacres de Juifs sur les territoires soviétiques dès 1941, bien avant la mise en place d'un projet d'extermination organisé et le projet de transplantation des Juifs à Madagascar. "Il me semble que les études historiques cherchant à établir "qui savait quoi" de l'extermination des Juifs reposent en grande partie sur des présupposés, qu'ils soient historiographique, politiques ou moraux."
En proposant une relecture de la chronologie de la Shoah, ce livre invite aussi à nous méfier des simplifications et des anachronismes, involontaires ou non. Brayard a voulu "mettre les pièces à leur place", sachant qu'il en manque toujours quelques-unes dans le puzzle de l'histoire. Même bardé de tout l'équipement méthodologique, l'historien n'est pas exempt d'affect quand il découvre un document. Certains pourront d'ailleurs considérer que Florent Brayard se comporte ainsi avec le journal de Goebbels. Difficile en effet de faire la part du vrai dans une dictature menteuse et dissimulatrice. Reste que cet ouvrage devrait faire parler de lui, et les historiens entre eux. Ce n'est pas son moindre mérite.