Marie-France Auzépy et Joël Cornette, les deux historiens directeurs de l'ouvrage, et leur équipe pluridisciplinaire - historiens également, spécialistes de telle ou telle période, mais aussi anthropologues ou psychanalystes - ont été surpris, tout au long de leurs recherches, par l'immensité du domaine qu'ils ont entrepris d'étudier et de présenter. A savoir le poil à travers les âges et dans tous ses états (cheveux, barbe et moustache, toison corporelle). Mais aussi tout ce que le système pileux recèle de sens, de signe, de symbole dans les mentalités, l'inconscient collectif, les pratiques sexuelles, voire les tabous qu'il véhicule : dans L'origine du monde, de Courbet, ce n'est pas le sexe offert qui fait scandale et dérange encore, c'est qu'il soit "touffu".
Ne pouvant être exhaustifs, les auteurs ont construit un déroulé à la fois chronologique et thématique, suivi d'études plus pointues, avec, par exemple, le point de vue de l'anthropologie ou celui de la psychanalyse, version Sigmund Freud. Un barbu. Chaque étude est originale, d'une érudition aimable, et l'ouvrage illustré de documents signifiants parfaitement contextualisés. De plus, à la manière des pataphysiciens - grands défenseurs du poil, auquel ils ont consacré, en 2007, des "états généraux" -, les contributeurs ne reculent jamais devant un jeu de mots, un trait d'esprit. Dont on connaît, grâce au père de la psychanalyse, les rapports étroits qu'ils entretiennent avec l'inconscient. Le nom des "poilus" de 14-18 ne saurait, par exemple, résulter du hasard.
Dans cette saga pileuse, on retiendra quelques épisodes particulièrement chargés de sens : ainsi, c'est parce qu'il était devenu chauve à 19 ans, à cause du typhus, que Louis XIV inventa puis imposa la mode de la perruque "totale" pour homme, qui connut la fortune que l'on sait, poudrée ensuite "à frimas" avec de la farine. Or, dans les années 1780, à la suite de mauvaises récoltes, le pain vint à manquer, tandis que les nantis continuaient de gaspiller la farine pour blanchir leurs perruques. Un des sujets de mécontentement du peuple, qui ressurgit au moment de la Révolution - même si Robespierre resta toujours emperruqué.
"Seule partie du corps sur laquelle on peut agir », le poil détient une forte valeur symbolique : Samson perd sa force et sa virilité quand on lui coupe les cheveux, les Indiens d'Amérique scalpaient leurs ennemis, les moines bouddhistes se rasent la tête. Au XXe siècle, quand les femmes veulent s'affranchir, elles se coiffent "à la garçonne", tandis que les cheveux longs deviennent ensuite l'emblème d'une certaine jeunesse contestataire. Les punks et les skins, eux, se rasent ou se teignent. Pas d'islam sans "barbus", alors que la tendance occidentale est plutôt, chez les deux sexes, au lisse, à l'imberbe, réputé plus hygiénique. Donc politiquement correct. Mais chez certains homosexuels, en réaction, le bear revient en force.
Matière infinie, pratiques différentes, voire contradictoires selon les civilisations et les moeurs : établir une Histoire du poil ni rasoir ni barbante, mais qui invite à s'interroger, était une gageure. L'équipe Auzépy-Cornette, qui n'a pas un poil dans la main, en a triomphé magna cum laude.