L'Irlande a beau être une petite île, elle compte nombre de poètes et romanciers. Joseph O'Connor est l'un d'eux. Son septième livre paru en France a pour objet les amours contrariées d'un couple qui a existé, John Millington Synge, grand dramaturge irlandais du début du XXe siècle, et l'actrice Molly Allgood, avec qui il était fiancé au moment de sa mort. Tout les sépare : l'âge - elle a dix-neuf ans, lui trente-sept -, la religion - elle est catholique, lui protestant -, le milieu - elle est pauvre, lui non. Et même la langue. Alors que Molly use d'un parler populaire et vert, lui serait plutôt du genre à vénérer l'imparfait du subjonctif. Quand Synge évoque Molly devant sa mère, bigote toutes catégories, celle-ci traite aussitôt de "catin" la jeune comédienne. Leurs partenaires au théâtre de l'Abbaye à Dublin ne voient pas d'un oeil plus amène cette passion amoureuse. Pour vivre heureux, vivons cachés..., c'est dans leur chair que les deux amants expérimentent la devise. A Londres, quelque cinquante ans plus tard, Molly, tabagique et clochardisée, erre à la recherche d'une petite lampée de gin, d'un vague cachet à la BBC, qui lui permettra de régler le loyer de son garni de misère. C'est par la voix de cette femme hors du commun, qui ne mâche pas ses mots pour expédier quelques vérités bien senties, que l'histoire est racontée. La description de ses errances dans Londres donne lieu à des pages hallucinées qu'un Joyce ne renierait pas et qui charrient, pêle-mêle, ses bribes de souvenirs avec Synge, ses velléités de vendre une lettre à une bibliothécaire californienne, ses ruses pour troquer des consignes de bouteilles vides contre quelques gouttes de madère et des pickles. Vivre dans un gourbi n'a jamais empêché Molly d'avoir la même vision du monde, à la fois irrévérencieuse et poétique. Un enchantement en effet, la langue de ce récit à la fois lyrique et douloureux.
L'enchanteresse
Une histoire d'amour impossible, amère et poétique, signée Joseph O'Connor.