Kaspar Hauser, on connaît ou du moins on croit connaître depuis le film de Werner Herzog. Mais Hervé Mazurel nous parle d'essai d'histoire abyssale. Alors là le lecteur est piqué au vif. Qu'est-ce qu'une histoire « abyssale » sinon une histoire qui plonge au plus profond des sensibilités, là où la lumière s'efface et où le chercheur finit par jeter la proie pour l'ombre au point de faire de cette ombre le sujet même de son enquête. Rappelons les faits : le dimanche de Pentecôte 1828 un jeune homme en haillons surgit sur une place de Nuremberg. Il ne parle pas, bredouille seulement quelques mots. Un papier lui donne une identité : Kaspar Hauser. Recueilli par un professeur qui lui apprend à lire et à écrire, il est assassiné au retour d'une promenade en 1833 alors qu'il travaillait à son autobiographie. Qui était-il ? Un millier de livres ont été consacrés à ce mystère. Les plus grands poètes comme Verlaine l'ont célébré : « Je suis venu, calme orphelin/Riche de mes seuls yeux tranquilles. » Et déjà on voit poindre l'idée d'un regard innocent sur une époque coupable.
Hervé Mazurel (Université de Bourgogne) ne cherche pas à percer l'énigme, probablement un prince héritier victime d'une intrigue de succession. Ce qui l'intéresse c'est ce que ce mystère révèle, ce qu'il nous dit du monde d'alors et pourquoi il fascine toujours autant aujourd'hui près de deux siècles plus tard. On comprend alors la notion d'histoire abyssale, aux confins de l'anthropologie, des sensibilités et de la psychanalyse. Celui qui fut appelé l' « orphelin de l'Europe » n'a pas révélé son secret, mais il a fait émerger un questionnement sur l'innocence originelle propre aux enfants dits « sauvages ». Il a fallu réapprendre à ce corps séquestré et déformé des expressions, un langage, des attitudes, un comportement. On a observé Kaspar Hauser comme le témoignage d'un individu qui aurait été isolé du monde pendant plus d'une décennie, sans lien social, sans affect, sans habitus.
Dans ce passionnant « essai de psychologie historique du cas Hauser », Hervé Mazurel rejette l'hypothèse d'un imposteur. « Le plus intéressant chez lui pourrait bien ne pas résider tant dans son identité que dans ce que sa vie corporelle, affective et psychique serait justement susceptible de révéler. » Un garçon sans symboles qui découvre le monde dans une sorte de virginité, un garçon sans certitude avec le pourquoi à la bouche. Il catalyse les aspirations, les désirs et les craintes que l'on se pose toujours sur l'éducation, la morale et la nature humaine. Son irruption a été considérée comme un événement, une histoire vraie qui a la force du mythe. C'est pourquoi elle nous captive encore.
Kaspar l'obscur ou L'enfant de la nuit
La Découverte
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 16 euros ; 300 p.
ISBN: 9782348059858