C'est une enquête, en France, à Istanbul mais surtout à l'est de la Turquie, dans l'Arménie historique, en Anatolie, là où près d'un million et demi de gens ont été massacrés. C'était en 1915. La sociologue Laurence Ritter (La longue marche des Arméniens, Robert Laffont, 2007) et le photographe Max Sivaslian sont retournés sur les lieux du génocide, à la recherche des familles qui ont survécu au prix du secret sur leurs origines. Une terrible expression turque les désigne comme "les restes de l'épée".
Cette enquête de trois ans sur "les Arméniens cachés et islamisés de Turquie" montre combien il est difficile de parler des morts pour ces survivants de la 3e ou 4e génération. On ressent toute la gravité et la dignité de ce pays perdu dans les montagnes du Sassoun ou sur les rives du lac de Van, avec ces "naufragés du désastre" qui se laissent photographier, parlent de leur changement de nom, de la conversion, de la circoncision et de la douleur de tout cela. "Les Turcs ne nous acceptent pas parce que nous restons arméniens et les Arméniens ne nous acceptent pas parce que nous sommes ou avons été convertis."
Laurence Ritter explique bien l'endogamie comme stratégie de survie mais aussi l'irréversible processus d'assimilation chez ces Arméniens du silence qui sont aujourd'hui plusieurs millions comme Yasar Kurt, le rocker turc qui a découvert ses origines arméniennes en 2008. Hrant Dink, le patron de l'hebdomadaire arménien Agos, assassiné en 2007, les appelait "les âmes errantes". Par le texte et par l'image, elles ont trouvé ici une manière de se poser.