Traverser les Etats-Unis à bord de trains de marchandises, et surtout en resquilleur, c'est le rodéo ferroviaire dans lequel s'est lancé il y a six ans ce baroudeur de Vollmann. Plus de cent ans après La route de Jack London, dont l'ombre tutélaire, autant que celle de Kerouac, Thomas Wolfe, Thoreau ou Mark Twain, plane sur ces chroniques, l'auteur du Livre des violences (Tristram, 2009) et Pourquoi êtes-vous pauvres ? (Actes Sud, 2008) a décidé de vagabonder sur les rails like a hobo, tel un clochard, à la recherche du "Grand Partout », du côté de l'ouest de son vaste pays. L'occasion pour cet écrivain qui a pour habitude de donner de sa personne, d'interroger les grandes mythologies américaines et sa propre "américanité » à un moment où - le temps de l'administration Bush - les formalités de plus en plus humiliantes à l'encontre des citoyens le mettaient en colère. "Aujourd'hui, je contemple cette Amérique toujours moins américaine qui est la mienne, et j'enrage. »
Ces chevauchées, vécues le plus souvent en compagnie de Steve Jones, le compagnon de rails à qui le livre est dédié, sont moins bucoliques et poétiques que politiques et métaphysiques. "Sur le cheval de fer, je fais l'expérience d'un état d'expansion illimitée. » Fidèle à sa méthode, Vollmann est toujours en train de remettre en question la nature de ses motivations, la qualité de son travail... dans une organisation du récit sans linéarité qui introduit certaines redites, ce dont l'auteur est d'ailleurs conscient, comme si les retours en arrière et les surplaces de l'errance devaient se retrouver aussi dans l'aiguillage des chapitres.
« Tenez vous pour informés que les activités décrites dans ce livre sont criminellement américaines », dit-il en "avertissement légal". Le statut de passager clandestin, ce jeu avec la resquille, bref, le voyage dans l'illégalité, apparaît presque comme l'aspect le plus exaltant de cette aventure qui ne manque pas de risques (la chute, la rencontre musclée avec les vigiles des gares de triages, « les bourrins de la Union Pacific », ou avec des groupes de vagabonds violents...). Mais on retiendra ce beau conseil donné par un « vieux hobo noir rencontré un jour à Roseville » : "Ne jamais rien voler d'autre qu'un voyage."